Pas l’ombre d’un remords

Publié le par G&S

Au moment où nos sociétés n’ont pas fini de traverser une crise qui accule des millions de personnes au chômage et à la faillite personnelle, les banques claironnent des bénéfices colossaux. Ainsi, le total des rémunérations versées par les principales banques et institutions financières américaines a bondi de près de 18% en 2009 pour atteindre le record de 145 milliards de dollars, d'après les calculs du Wall Street Journal. Dans un communiqué diffusé par la Maison-Blanche, le Président Obama annonce sa décision de taxer ces profits. Et il précise « ma détermination à y parvenir a été renforcée par les publications faisant état de bénéfices colossaux et de bonus indécents au sein de sociétés qui doivent leur survie au peuple américain ». En France également, on annonce des bonus records pour les  « traders ».

Ce bras d’honneur des grands dirigeants des banques aux responsables politiques n’est pas simplement choquant au niveau moral. Il symbolise la mainmise internationale du pouvoir financier sur le politique et l’économique. Cette mainmise ne date pas d’aujourd’hui. Il y a plus de 70 ans, on pouvait lire ceci : « Ce qui à notre époque frappe tout d’abord le regard ce n’est pas seulement la concentration des richesses, mais encore l’accumulation d’une énorme puissance, d’un pouvoir discrétionnaire aux mains d’un petit nombre d’hommes qui d’ordinaire ne sont pas propriétaires, mais simples dépositaires et gérants du capital qu’ils administrent à leur gré. (…) Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l’argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l’organisme économique, dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que sans leur consentement, nul ne peut plus respirer » 1.

Ces propos ne sont pas ceux d’un gauchiste irresponsable, mais du Pape Pie XI, dans l’Encyclique Quadragesimo Anno, publiée après la grande dépression financière et économique de 1929.

Soros-Crise-financiere.jpgLa crise actuelle a conduit les chantres du libéralisme à prôner la régulation du système bancaire. Pour l’instant, on en reste aux vœux pieux. Pour prendre conscience de l’ampleur nécessaire de l’évolution des mentalités des acteurs financiers, je citerai deux déclarations d’un des plus grands spéculateurs internationaux, Georges Soros. En 1992, ayant conduit une spéculation mondiale dont le résultat fut la dévaluation de la livre sterling, il déclarait à un journal anglo-saxon : « Je suis sûr que les activités spéculatives ont des conséquences négatives. Mais je n’y songe jamais et ne peux y songer. Si je m’abstenais de faire certaines choses à cause de scrupules moraux, je cesserais d’être un spéculateur. Je n’ai pas l’ombre d’un remords pour avoir gagné de l’argent lors de la dévaluation de la livre. Je n’ai pas spéculé contre la livre pour aider l’Angleterre ou pour lui nuire. Je l’ai fait pour gagner de l’argent » 2. On ne saurait mieux affirmer l’affirmation de la souveraineté financière sur toute autre valeur. Seize ans plus tard, le même Georges Soros écrit ceci dans un livre sur l’actuelle crise financière : « Il est évident que l’économie est en train d’être saccagée par une financiarisation déraisonnable et incontrôlée et que le secteur de la finance doit être repris en main » 3.

Bernard Ginisty

Chronique hebdomadaire diffusée sur RCF Saône & Loire le 16.01.10

 

1 - Pie XI : Encyclique Quadragesimo anno (1931), § 113 et 114. Cité par Antoine de Salins et François Villeroy de Galhau in Le développement moderne des activités financières au regard des exigences éthiques du christianisme. Cité du Vatican 1994, pages 16 -17

2 - Georges Soros, dans The Guardian, 19 décembre 1992, in op.cit. page 33

3 - Georges Soros : La vérité sur la crise financière. Éditions Denoël, 2008, pages 189-190.          

 

Publié dans Signes des temps

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