Pas de fossé entre nous... juste le bon Dieu

Publié le par G&S

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Il y a un an, j’avais signé une chronique matinale sur France-Inter, Le Petit Curé, qui a suscité quelques réactions. C’était en pleine tempête médiatique sur la pédophilie dans l’Église. Le texte parlait d’un brave curé qui ne faisait de mal à personne, qui ne faisait pas trop de sermons à ses fidèles ni de vagues dans son village, que ses paroissiens commençaient pourtant à regarder de travers parce que, comme lui, ils regardaient la télévision.

Dans ma chronique, ce petit curé collectionneur de vieux 33 tours se souvenait d’une chanson de Georges Brassens. Mon intervention s’achevait avec le début du Mécréant : « Anticlérical fanatique, vieux mangeur d’ecclésiastique, cet aveu me coûte beaucoup. Mais les hommes d’Église, hélas, ne sont pas tous des dégueulasses, témoin le curé de chez nous »…

Brassens est pour moi un maître en chansons, je chante sa Marche nuptiale sur scène, j’ai enregistré ses chansons de jeunesse pour l’exposition qui se tient à la Villette et je rêverais de faire un jour un spectacle sur lui. Mais c’est une autre histoire…

 

« Les gens qui ont la foi m’intéressent grandement »

J’aime Brassens, je n’aime pas ses gardiens du temple, comme cet enseignant que j’ai entendu l’autre jour répondre à une question au sujet des Beatles : « Moi, vous savez, je n’écoute que Brassens »… Le Brassens que j’aime est aux antipodes de cette vision étriquée. Une invitation à la liberté, à la générosité, à la tolérance. J’aime notamment sa relation à la religion dans Le Mécréant ou quand il semble revendiquer la messe en latin dans Tempête dans un bénitier. Pour lui, la messe a beaucoup perdu en étant comprise. J’aime cette façon d’en parler en mettant les pieds dedans, de la chanter en mêlant respect et irrévérence.

C’est un fait connu que l’homme Brassens était sensible à l’idée de Dieu. Lui qui bouffait du curé en chansons en comptait quelques-uns parmi ses amis. Lui le mécréant avait coutume de dire quelque chose comme « ça m’emmerde que le bon Dieu n’existe pas ». Comme s’il s’excusait de son absence de foi.

Je me retrouve dans cette façon d’exprimer les choses. Je ne suis pas croyant, c’est entendu. Mais les gens qui ont la foi m’intéressent grandement. Et même, je les envie. Je ne parle pas ici de la foi du charbonnier, comme disait encore Brassens. Non, je parle bien de la foi de celui qui croit en Dieu. Ce n’est pas rien de croire, j’imagine. Ça nous dépasse, ça me dépasse, et je ne serai jamais de ceux qui se moquent des croyants ou qui leur tirent dessus.

 

« Face à la mort, nous sommes tous démunis »

Avec Brassens, j’ai aussi en commun une mère croyante, qui va à l’église, et un père que tout cela n’intéressait pas tellement. Alors le dialogue entre celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas, je connais. Il fait partie de moi. Il me nourrit. J’ai écrit moi aussi ma chanson sur le sujet : Le Bon Dieu entre nous, qui figure sur mon album Le Soir, des lions… J’y évoque la mort d’un ami cher, de celles qui créent une absence irréparable, irremplaçable. Son enterrement a fait renaître chez moi le souvenir d’une autre cérémonie, il y a trente ans, où le prêtre avait fait un discours : « Il a plu à Dieu de rappeler à lui » Cet « Il a plu à Dieu » après un accident, je l’ai trouvé violent.

Qu’un homme de foi, qui ignorait tout de la défunte, prononce de telles paroles, je trouve cela insupportable. Et ma chanson exprime ma colère de non-croyant contre ce Dieu que l’on nous assène pour nous enlever ceux qu’on aime : « Le curé nous a dit : “ Il faut se résigner. Quelqu’un vient de partir, mais un enfant est né ” » ; et plus loin : « Merci bien du tuyau, merci monsieur le Curé. Sauf que le mort, pardon, moi je le connaissais » ; et encore plus loin : « Entre nous, moi qui suis sans foi, sans espérance, j’écoute ta prière, j’admire ta souffrance. Ne m’en veux pas surtout je chante malgré moi : le bon Dieu, entre nous, je crains, n’existe pas. »

Chaque homme, croyant ou pas, se trouve confronté à l’idée et à la présence de la mort. Face à elle, nous sommes tous démunis, perdus. Nous cherchons des réponses en nous et dans le dialogue. Je trouve très bien que la foi en propose pour d’autres que pour moi. Pourtant, j’aimerais certains jours que ceux qui croient entendent cette colère de non-croyant, qu’ils comprennent qu’elle m’empêche de croire. Il n’existe aucun fossé entre nous, ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Il y a juste le bon Dieu.

François Morel
auteur, compositeur, interprète

Propos recueillis par Jean-Yves Dana
pour La-Croix.com

Publié dans Fioretti

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