On ne naît pas frère, on le devient

Publié le par G&S

Le XXe siècle aura vu le face à face de deux systèmes qui ont incarné deux exigences de la modernité : la liberté et l’égalité. La liberté a été celle du marché dont la « main invisible » était supposée apporter régulation et harmonie dans la société. L’égalité, fut le combat de ceux qui ont demandé à l’État la juste répartition des richesses que la jungle des libertés laissées à elles-mêmes est incapable de promouvoir.

En ce début de XXIe siècle, les héros sont fatigués. Les premiers à baisser les bras ont été les thuriféraires d’un socialisme d’État qui a conduit à la médiocrité économique et à la dictature d’apparatchiks totalitaires. Quant aux hérauts du marché, ils voudraient nous faire croire qu’ils ont gagné. Or, crises boursières à répétition, fracture sociale grandissante dans les pays développés, famines et malnutrition croissante dans le monde, pollution généralisée de la planète, dictature du seul profit à court terme, apparaissent de plus en plus comme des défaites de l’humain.

Au fronton de nos mairies, après les mots égalité et liberté, il y a celui de fraternité. Nous avons pensé qu’il s’agissait d’un vœu pieux. Or, les combats toujours nécessaires pour la liberté et l’égalité, sans une fraternité concrète, deviennent stériles et mortels. J’entends les moqueries des célébrants des deux pensées uniques du siècle : fraternité ? Mais c’est de la collaboration de classe que vous prônez ! Tandis que les autres, narquois, se gaussent : fraternité ? Mais cher ami allez jouer au patronage et laissez-nous les rapports de force de la finance !

La force de la fraternité, c’est celle de l’Évangile et de la République. Elle existe déjà. Si la société française tient debout, c’est que, sans le savoir, elle est en avance sur ses élites à travers des fraternités citoyennes, humanistes, spirituelles. Elles sont en œuvre dans les centaines d’associations qui tissent au quotidien le lien social, avec ces milliers d’inventeurs d’une culture différente, d’une économie solidaire, d’autres modes de vie.

Si les États peuvent légiférer sur la liberté et l’égalité, la fraternité ne se décrète pas. Elle trouve ses sources dans la dimension spirituelle de la personne, sous peine de se perdre dans les caricatures de l’embrigadement des partis, les sectes et toutes sortes de refuges identitaires.

Dans un de ses derniers ouvrages intitulés Le moment fraternité, Régis Debray analyse longuement ce rôle fondateur de la fraternité dans la République qui conduit à substituer aux communautés de sang et de destin des communautés citoyennes. C’est pour cela que Debray dit préférer le mot « fraternisation » à « fraternité », car, écrit-il : « on ne naît pas frère, on le devient. Seul l’acte de fraternisation, insolite, contre-nature, peut redonner verdeur et force à une pâle et fade fraternité » 1.

Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 29.05.10)

- Régis DEBRAY : Le moment fraternité. Éditions Gallimard, 2009, page 271.

Publié dans Signes des temps

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article