Nous sommes tous minoritaires
Le 11 mai dernier a eu lieu à Lyon la fusion historique des Églises réformées et luthériennes pour constituer l’Église protestante unie de France. Le sens de cet événement dépasse largement les deux Églises en question pour signifier de nouveaux rapports entre communautés et Églises différentes.
Laurent Schlumberger, élu premier président de la nouvelle Église, a commenté ainsi cette démarche : « L’union est le fruit d’un mouvement œcuménique dont la philosophie tient en deux mots : la mission d’abord, les identités confessionnelles ensuite. Les protestants ont été pendant des siècles un petit troupeau qui recherchait l’entre soi, la pureté. Ils se serraient les coudes avec une identité très forte. Ils se distinguaient des autres et s’appuyaient contre le catholicisme. Ce monde a disparu. Les cultes, catholicisme compris, sont minoritaires. Être protestant ne peut plus se vivre en s’appuyant contre un autre culte. Les protestants doivent donc apprendre une autre manière d’être Église. Ils doivent aller à la rencontre de leurs contemporains, devenir témoins, exposer ce qui les fait vivre en osant s’exposer eux-mêmes » 1.
Ces propos devraient être entendus au sein de toutes les Églises. Dans l’Évangile, la conversion n’évoque pas d’abord l’adhésion à une institution, mais ce que le Christ appelle la seconde naissance, c’est-à-dire une expérience très personnelle de la grâce.
Dans le dernier entretien qu’il a donné quelques semaines avant sa mort, le Cardinal Carlo Maria Martini s’exprimait ainsi : « Ni le clergé, ni le Droit canonique ne peuvent remplacer l’intériorité de l’homme. Toutes les règles extérieures, les lois, les dogmes ne nous sont donnés que pour clarifier la voix intérieure et pour aider au discernement des esprits » 2.
L’universalité de la grâce invite chacun à recevoir et assumer ce qu’il a d’unique et non à rêver de conquêtes institutionnelles. Nous sommes tous fondamentalement minoritaires.
L’humanité se construira par des relations entre des hommes s’assumant uniques et différents, en cela fils d’un même Père et non par la construction d’une Tour de Babel religieuse, politique ou économique. Comme le dit encore Laurent Schlumberger, « les affiliations sont désormais individuelles et fluctuantes. Plus personne ne veut d’institution qui dicte ou délimite. Il y a donc une pluralité spirituelle que nous ne connaissions pas il y a encore une génération et demie. Nos contemporains sont à la recherche de témoins et non d’institutions qui encadrent. Notre union est le fruit de cette évolution. Mais notre réponse n’est pas identitaire. Souvent, mais pas toujours, la poussée évangélique ou ce qui touche à la nouvelle évangélisation catholique est identitaire. Nous affirmons l’hospitalité en faisant vivre, au sein d’une même Église, deux traditions de style différents ».
Bernard Ginisty
1 – Interview de Laurent Schlumberger par Jean-Marie
Guénois pour lefigaro.fr le 11 mai 2013
2 – Interview de Carlo Maria Martini par Georg
Sporschill s.j. réalisé le 8 août 2012 et publié le 1er septembre dans le quotidien italien Corriere della Serra