Nous, princesses de Clèves
Film documentaire de Régis Sauder
Puissance de l’art ! Comment est-il possible qu’un petit film de 1 heure 10, un documentaire tourné dans un lycée des quartiers Nord de Marseille, puisse nous toucher si profondément, évoquer tant de questions essentielles de la vie en France au 21e siècle ?
C’est que l’art est doublement présent : par « La Princesse de Clèves » ce chef-d’œuvre de la littérature française du 17e siècle, et par le regard du cinéaste sur ces lycéens et sur leur monde. Le film ouvre ainsi deux perspectives.
Oui, il est possible que des adolescents de milieu défavorisé, dans un lycée en ZEP (Zone d’Éducation Prioritaire) soient intéressés par « La Princesse de Clèves » ; mieux, se reconnaissent dans les sentiments et les attitudes de ces nobles, si loin d’eux, dont les seules occupations sont « l’ambition et la galanterie ». Mais le cœur humain reste le même, comme Eric Rohmer aimait le dire, et une jeune fille d’aujourd’hui peut comme hier sentir son cœur déchiré entre son compagnon habituel et un autre garçon qui l’éblouit. Les grands textes peuvent aujourd’hui encore permettre à des jeunes de se laisser questionner et transformer, de s’ouvrir à d’autres univers, comme le montre aussi leur visite à Paris et au Louvre.
Mais le film ouvre encore une autre perspective. Le grand acquis de la modernité, depuis le 18e siècle, c’est le surgissement de l’individu : la conscience que chacun doit pouvoir, en particulier par l’éducation, choisir et construire sa propre vie, sans rester emprisonné dans sa famille et son milieu.
On voit bien dans ce film ce qu’il y a d’unique, de passionnant, de difficile, de tragique même dans l’accès à l’identité personnelle. Chacun de ces jeunes le désire, mais comment y parvenir ?
« C’est Mozart qu’on assassine » était le titre d’un roman des années 50. Malraux disait que le propre de l’art, c’est de « donner conscience à des hommes de la grandeur qu’ils ignorent en eux ». C’est la valeur unique de chaque personne que ce film met finalement au premier plan.
Jacques Lefur
P.S. : Si vous avez la possibilité de le voir, ne manquez pas le dernier film du grand cinéaste portugais Manoel de Oliveira, L’étrange affaire Angelica : un chef d’œuvre au plan esthétique, mais aussi une grande réflexion poétique et pleine d’humour sur la beauté, l’amour plus fort que la mort, l’avenir de notre monde, l’accès à l’éternité !