« Nous irons tous au Paradis »
Le dernier ouvrage de Marie Balmary, écrit en collaboration avec le théologien Daniel Marguerat, constitue une stimulante méditation sur le « Jugement dernier » 1. Le déclin des religions qui ont porté ce thème ne l’a pas, bien au contraire, exorcisé. La prolifération de séries policières sur nos chaînes de télévision illustre cette obsession de l’homme pour le Jugement : « Les romans policiers ou les séries policières viennent exorciser notre angoisse devant l’injustice en nous repassant inlassablement le film des énigmes résolues, des délits éventés et des coupables identifiés » 2.
Bien loin de reprendre les mises en scène terrifiantes dont a usé et abusé une certaine prédication chrétienne, les auteurs analysent comment le Jugement dernier retire à l’homme sa prétention de juger autrui : « Il n’y a pas plus dangereux que d’entendre dire : je te connais comme si je t’avais fait. Cette posture de toute-puissance décrète que l’autre est incapable d’étonner, de surprendre, de se révéler différent du schéma dans lequel il a été enfermé. À cet impérialisme du savoir sur autrui, le Jugement oppose un salutaire interdit » 3.
Dès lors, la phrase de l’Évangile : « Ne vous posez pas en juges, afin de n’être pas jugés ; car c’est de la façon dont vous jugez qu’on vous jugera » 4 prend tout son sens. Elle alerte sur le danger de croire définitif notre savoir sur les autres. « Le Jugement dernier réserve à Dieu la possibilité d’accéder au mystère d’autrui. En chacun de nous un sujet demeure inaccessible à la prise des autres, un « Je suis » imprenable auquel personne ne peut accéder, sauf Dieu » 5.
Non seulement, l’Évangile nous demande de ne pas juger les autres, mais dans une de ses Épîtres Jean conteste même notre capacité à nous juger : « Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne tout » 6. Daniel Marguerat commente ainsi ce verset : « Et qui sait, à force d’entendre parler Dieu plus fort que notre cœur, plus haut que nos remords, peut-être réaliserons-nous enfin que le plus grand péché de l’individu est de se mépriser lui-même » 7.
En reprenant dans leur titre la chanson de Michel Polnareff « ON ira tous au Paradis », les auteurs ont substitué au ON le NOUS. En effet, le destin final de l’humanité ne sera pas le fruit d’un « ON » anonyme dispensant chacun d’entre nous de s’engager dans les relations à autrui. Quand le Christ nous a appris à prier, il ne nous a pas dit d’invoquer le « Mon Dieu » de nos sur-moi, le « Notre Dieu » de notre race ou de notre pays, mais le « Notre Père » qui interdit de croire qu’une relation individuelle avec Dieu pourrait nous dispenser de notre engagement fraternel avec les hommes.
Bernard Ginisty
1 – Marie Balmary et Daniel
Marguerat : Nous irons tous au paradis. Le Jugement dernier en question, Éditions Albin Michel, 2012
2 – Idem Page 79
3 – Idem Page 125
4 – Évangile de Matthieu, 7, 1-2
5 – Op.cit. Page 83
6 – 1e Épître de Jean, 3 18-20
7 – Op.cit. Page 163