Noël aura-t-il lieu ?

Publié le par G&S

Dans nos sociétés déchristianisées, les derniers vestiges du calendrier chrétien subsistent à travers ponts et jours fériés où les mots Noël, Pâques, Ascension, Pentecôte, Toussaint désignent principalement des pics de consommation et des embouteillages sur nos autoroutes. La société marchande a pudiquement neutralisé Noël sous l’expression « fêtes de fin d’année » où la liturgie consiste à aller du réveillon de Noël à celui du Premier de l’An en passant par la participation à la foule qui envahit les centres commerciaux.

En 1947, au sortir de la guerre, l’écrivain Georges Bernanos publiait un article intitulé : Noël aura-t-il lieu ?  1 dans lequel il mettait en scène des hommes s’interrogeant, un 26 décembre, sur la date exacte de Noël et décidant, pour s’informer, de téléphoner aux savants de l’Observatoire. « On est en droit de se demander, écrit-t-il,s’il y aurait encore longtemps des nuits de Noël avec leurs anges et leurs bergers, pour ce monde féroce, si éloigné de l’enfance, si étranger à l’esprit d’enfance, avec son réalisme borné, son mépris du risque, sa haine de l’effort qui s’accorde beaucoup moins paradoxalement qu’on ne pense à son délire d’activité, à son agitation convulsive. Que viendra faire dans un monde tel que celui-ci un jour consacré depuis deux millénaires non seulement au plus auguste des mystères de notre foi, mais à l’enfance éternelle qui à chaque génération fait déborder à travers nos cloaques son flot irrésistible d’enthousiasme et de pureté ? ».

Avec sa fougue de polémiste il pressentait comment les sociétés modernes risquaient de se laisser dévorer par une croissance cancéreuse sans autre but qu’elle-même, ce que montre avec éclat la crise financière que nous traversons. « Communiste ou fasciste, dirigiste ou libéral, écrivait-il, ce monde est vieux. On peut même écrire qu’il est sénile. L’extrême sénilité est une monstrueuse enfance, ressemble à l’enfance comme une tumeur cancéreuse à l’embryon dont elle reproduit l’activité cellulaire, mais une activité sans frein et sans but ». Dès lors, poursuit Bernanos, comment célébrer Noël dans un monde « qui a horreur de tout ce qui enchante l’enfance », dont l’imagination est « entièrement asservie au pratique, comme un géant dont on a crevé les yeux pour lui faire tourner la meule » et qui se méfie « de l’infirme et du pauvre, c’est-à-dire de tout élément social inefficace » ?Et il ajoute qu’à Noël cet « égoïsme radical » est « rendu plus abject par une disposition également sénile à l’attendrissement, aux larmes ».

Bien loin de nous inviter à nous complaire ou à nous scandaliser de cet état de fait, la fête de Noël célèbre la capacité permanente de tout être humain de naître et de renaître au-delà de ses erreurs et de ses malheurs. Les grands mystiques de toutes les traditions nous apprennent que l’expérience de Dieu se traduit non par une appartenance, mais par un engendrement permanent. Toute naissance bouscule les ordres frileux qui voudraient nous enfermer dans des cadres ou des jugements prétendus définitifs. Dés le début des Évangiles, la naissance du Christ apparaît comme une menace pour les pouvoirs établis d’Hérode et du Grand Prêtre.

Noël restitue à chaque homme cette capacité fondamentale de pouvoir commencer dans laquelle la philosophe Hannah Arendt, au terme de son analyse du phénomène totalitaire, voit l’essentiel de l’humain. 2

Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 25.12.10

– Georges BERNANOS : Noël aura-t-il lieu ? Article publié par L’Intransigeant le 25 décembre 1947. In Bernanos, Essais et Écrits de combat, Tome II. Edition La Pléiade, 1995, pages 1202-1203

2 – Hannah ARENDT : « Le commencement, avant de devenir un événement historique, est la suprême capacité de l’homme ; politiquement, il est identique à la liberté de l’homme. Ce commencement est garanti par chaque nouvelle naissance ; il est, en vérité, chaque homme » In Le système totalitaire Éditions du Seuil, page 232

Publié dans Signes des temps

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