Mon itinéraire spirituel : ce qu’il doit à l’exil

Publié le par G&S

L’auteur de cet article, Karima Berger, écrivain, est née à Ténès, en Algérie.

Elle a grandi dans ce pays et est venue en France pour poursuivre ses études de sciences politiques. Ses romans évoquent le face à face des cultures arabe et française de son enfance coloniale comme dans son premier roman L'enfant des deux mondes (Éditions de l'aube, 1998) ou dans son roman Filiations dangereuses (Éditions Chèvrefeuille, 2008, Prix Alain Fournier).

Dans son ouvrage Éclats d'islam, Chroniques d'un itinéraire spirituel (Albin Michel, 2009) elle poursuit cette recherche de façon personnelle cette fois. L’image de l’islam aujourd’hui, son instrumentalisation de quelque bord qu’elle provienne est pour l’auteur une véritable « provocation à penser » en son nom propre et non en celui d'une communauté.

C'est un journal spirituel composé de petites chroniques s’inspirant des « bruits » multiples de l’actualité de l'islam et qui sont l’occasion de revenir à une intériorité vraie, enrichie, fécondée par un entre-deux qui ravive l’étrangeté de soi et de l’autre.

Comment cheminer avec l’étranger en soi et autour de soi ?

Son dernier ouvrage, un recueil de nouvelles, Rouge Sang Vierge vient d’être publié aux Éditions El Manar. Dans une culture hantée par le corps, le sexe et le religieux, la volupté entretient une énergie secrète. Le corps est caché, voilé pendant que la tête dévoile son orgie d'images. Karima Berger explore cet univers dans ses multiples incarnations : l'enfance, la guerre, la maladie, l'exil, le temps. Rouge Sang Vierge est l'apprentissage d'une perception intime du monde qui rend au corps toute son intelligence.

o O o

 

« Nous naissons provisoirement quelque part.
C'est peu à peu que nous composons en nous
le lien de notre origine, pour y naître après coup ».
R. M. Rilke

 

Eclats-d-islam-de-Karima-Berger.jpgC’est en réponse à une pression lancinante que je ressentais autour de moi que j’ai écrit Éclats d’islam (Albin Michel) en butte à une pression faite de bruits et de brouillages sur l’islam, sur les musulmans, sur le monde arabe… un brouhaha pernicieux, subtil, pervers parfois, intelligent parfois aussi… imaginez, tous les jours, cette sur-médiatisation d’un sentiment qui pour vous est tellement intime en vous que vous n’en savez pas grand-chose et voilà que c’est sur la place publique, jeté sous forme d’éclats de bombe (et pas forcément de lumière), déformé, défiguré, corrompu.

Mais là n’est pas le plus grave, c’est plutôt pour moi le sentiment d’identification avec le peuple des musulmans que je considère comme risqué et contre quoi j’ai dû lutter pour ne pas me laisser engloutir par cette pulsion de masse, aux accents identitaires qui nous illusionnent, nous font penser que l’on se défend alors que l’on s’inflige notre propre enfermement. Ma culture, ma tradition est sous pression, pour autant, je réfute toute protection de toute barrière communautaire. Alors, j’ai eu envie de montrer ces innombrables éclats d’un Islam en proie à une « sortie » de la religion, je veux dire à une désacralisation à force d’être mêlé à tout ce qui est profane et de recueillir entre mes mains son noyau lumineux.

Sans doute, est-ce l’exil justement, qui nous mène vers ce premier grand Autre et qui va nous arracher à notre condition familière et faire de nous un exilé dans notre pays. Le geste de partir est un geste d’ouverture, un saut dans l’inconnu qui peut être angoissant, tout repère est effacé. Mais l’exil est une quête, naître, autrement, ailleurs. Abû Tammam nous dit : « Exile-toi afin de te renouveler ». Aujourd’hui, je peux explorer le pays de moi-même qui n'est pas le pays d'origine, figé, enfermé, mais un arrière pays qui me donne un background qui manque tellement à nos jeunes des cités.

J’ai écrit ce journal, inactuel, construit dans une sorte d'aller-retour entre le dehors, bruyant et tapageur  et le dedans de mon intimité, une interpellation réciproque entre le bruit et le murmure, entre les brouillages multiples que nous livrent l'actualité et le silence d'une quête. C'est ma voix, celle d'une femme qui vient  d'Algérie et dont l'enfance coloniale a été nourrie par une culture double où les langues, les sens, les couleurs et les croyances m'ont toujours fait me demander si l'autre, différent, étranger, éprouvait le même goût et ce qu'était le même. Une culture où l'art de la traduction pas seulement des mots mais des mondes (à l’image des Correspondances de Baudelaire) a toujours été mon jeu favori. L'exil a été une chance, de prise de recul : Je est un autre (Rimbaud)

Je me demandais : tous ces bruits, ce bruit de fond incessant, n’est-ce pas l'écho d'un cri de désespoir, parce que sous nos yeux, en islam, s’opère aussi comme en Occident, comme pour tous, ce lent mouvement et inéluctable de laïcisation du sacré, cette lente agonie du divin, cette lente tragédie que connaissent les peuples ? Nous buvons nous aussi à la même coupe vide, désespérément vide et nous, arides, secs, sans lien ni entre nous ni avec Dieu ; seuls les satellites nous inondent d’images, les satellites ont remplacé les anges, ce n’est plus leur voix que l’on entend mais celle de ces grandes paraboles qui bruissent de toutes les bruits du monde dans ce grand désert de nos vies, déserté par le souffle spirituel, ces paraboles qui ont dressé un voile entre le ciel et nous, entre les anges et nous., c’est sur cette grande scène que nos colères s'abreuvent de cette même désolation. « Privé du divin, l’homme est mutilé » nous dit Marie-Madeleine Davy. Je prends toujours cet exemple du InchAllah qui m’est très cher car il illustre ce vide et cette sècheresse que nous connaissons aujourd’hui en occident mais qui s’étend de plus en plus sur toute la planète. Il montre l’annulation dans le discours quotidien de toute référence à l’eschatologie, le InchAllah qui ponctue la vie quotidienne du musulman n’est pas qu’une formule convenue ou de circonstance, le InchAllah ouvre à chaque fois la porte d’un mystère : Qui SAIT ? Si dieu veut… que nous soyons encore présents en ce monde demain… mon père nous interdisait de nous projeter l’avenir sans s’y référer, fut-ce pour l’heure d’après et moi, à chaque fois que la porte s’entrouvrait, une corde vibrait. Si Dieu Veut.

 

Première initiation

Un événement majeur : j'avais douze ans. C'est ma présence à la communion solennelle de mon amie Patricia à la cathédrale d'Alger, qui fut pour moi l'éveil à une question qui devint ensuite lancinante : Pourquoi pas le même Dieu ? Et toute exclusion ou bannissement né de cette différence me révoltait et me faisait douter, ce fut plus tard, l'interdiction pour mes amis chrétiens de pénétrer à l'intérieur des mosquées, c'est ma grand-mère, ce monument qui détenait à elle seule tout le savoir du monde qui me dit un jour "Seuls les musulmans iront au paradis".  Ce fut l’autre évènement déterminant de l’enfance. Alors même que le Coran dit « Si Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous une communauté unique : mais Il voulait vous éprouver en Ses dons… » (Coran, V, 48). Ceci c’est la culture populaire que l’on retrouve dans toutes les cultures du monde, on fait vite d’archaïser ses dieux et de les confondre avec des instances paternelles et sévères et moralisantes.

Ma grand-mère n'a jamais su la tempête qu'elle venait de semer dans mon esprit et la cruauté de ma religion chaque jour écorchait mon cœur : à l'école, je regardais mes camarades, rutilantes dans leurs blouses neuves et leurs rubans brillants avec une secrète pitié, je les observais comme des êtres brûlant leur vie sur place : pas de promesse, pas de paradis. Cette éviction, irrévocable, provoqua chez moi la naissance d'une curiosité toujours vive, pour ceux auxquels le paradis était interdit, tous ces impurs au funeste destin. Cette initiation fut sans doute, déterminante pour mon éducation spirituelle, toujours délibérément ouverte sur la foi de l'autre dont je pressentais qu'elle était mienne aussi mais se livrait dans un langage différent. Adulte, je parvins à formuler dans mon premier livre 1, cette question sous la forme  d'une prière à deux voix en unissant et en les nouant ma Fatiha (la première sourate du Coran et celle qui ouvre chaque prière et chaque temps de la prière (rakaa)  et le Notre Père.

Comme un petit noyau en moi, ouverture sur l’étranger, noyau brûlant, paradis/enfer, pourquoi pas le même dieu ?

Karima BERGER
Avril 2011

1 – L'enfant des deux mondes, Éditions de l'Aube, 1998 

Publié dans DOSSIER 2 CULTURES

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