Militants, limitez-vous !
Si en tout domaine le chrétien généreux et lucide s'engage pour la double raison de sa foi et de sa citoyenneté, il est bien clair qu'il ne peut pas être MILITANT partout et en même temps dans tous les secteurs de sa vie. Servir à plein bras au four et au moulin constitue un tour de force auquel personne ne résiste. De plus la qualité de la farine et du pain s'en ressent.
Quand j'écris le mot MILITANT, je désigne ceux et celles qui volontairement prennent hardiment une activité de service aussi bien dans le domaine de la vie syndicale, politique, associative, professionnelle, familiale et ecclésiale. Ce sont ceux et celles que l’on appelle ordinairement, les responsables, les présidents, les permanents…
Je connais des "militants" de la famille. Leurs activités au sein de leur "maisonnée" les dévorent et les épuisent au point qu’ils n’ont plus le temps de lire.
Je connais des "militants" de la profession : intensité du travail et heures supplémentaires les harassent au point que soirées, week-end et même vacances n'arrivent pas à éponger préoccupations et fatigue.
Je connais des "militants" syndicaux et politiques qui ne se reposent jamais...
Je peux multiplier les exemples.
... Mais je connais aussi des hommes et des femmes qui s'efforcent et s'épuisent à cumuler des "militances". Jours et nuits n'y suffisent plus. Ils s'usent prématurément et préparent leur propre dégoût. Toutes les institutions les requièrent, l'Église, l'État, les ONG... Parfois ils ont mauvaise conscience et jugent qu'ils manquent de générosité.
Être "militant" dans un seul secteur d'activité suffit largement ; alors il faut choisir et laisser tomber les autres. Tout tenir revient à tout lâcher. L'honnêteté exige d'établir des priorités. Si l'on peut vivre d'une manière engagée et éclairée dans tous les domaines respectifs de la vie, on ne peut pas tenir un rôle décisif à plein temps dans chacun d'eux.
Intéressé par tout : oui ; militant partout : non !
Que faire ? Se contenter de l'alternance me semble la thérapeutique humble. Le "tantinet" éparpillé au long de chaque jour de la vie ne correspond ni au besoin de la cité ou de l'Église, ni à l'esprit militant. Il dévore le temps et ne produit rien.
Par contre, quelques années ici, puis quelques années là et pourtant partout un cœur ouvert, engagé, sauvegardent l'efficacité du service pour la collectivité et l'épanouissement des personnes.
Oser entrer dans la problématique humaine. Si la Providence agit toujours et partout pour aimer et soutenir la création entière sans s'épuiser, le pauvre-pèlerin-du-monde choisit de période en période tantôt la pleine moisson tantôt la jachère. Il a constamment en lui ou en elle une étendue de terre féconde pendant qu'il en laisse reposer une autre. Il est toujours fertile et productif mais il n’est pas pendant des décennies saturé d’engrais surpuissant pour produire de plus en plus.
Ce que je viens d'écrire devrait être médité et débattu dans les instances ecclésiales.
J'ajoute une question : si baptisé l’on vit avec le Christ, engagé pour toujours, est-on toutes les années de sa vie "militant" (au sens fort du terme) dans les réseaux de l'Église ?
Ne jamais l'avoir été : insuffisant.
Refuser de l’être : dommageable pour tous.
L’être sans débrider : excessif !
Rendre un service de responsabilité pendant quelques années intensives : normal…
La réponse, sans doute collective, vaut la peine d'être cherchée ensemble.
Christian Montfalcon (1995)