Mgr Müller et la théologie de la libération
Dans un entretien paru le 26 juillet dans L’Osservatore Romano,
le nouveau préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF)
évoque son rapport avec la théologie de la libération.
Pourquoi cette prise de position ?
Le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi est un personnage clé de la Curie romaine, puisqu’il se trouve à la tête du « ministère » du pape compétent pour les questions théologiques de foi et de morale. Il l’est encore plus lorsque le pape est lui-même théologien et fut de longues années à la tête de cette même Congrégation.
Or, nouveau titulaire depuis le 2 juillet, Mgr Gerhard Müller, très proche de Benoît XVI, a suscité certaines interrogations, notamment du côté des milieux plus traditionnels de l’Église, du fait de ses liens avec le théologien de la libération Gustavo Gutiérrez. La publication d’un long entretien du nouveau préfet, dans l’Osservatore Romano, le journal du pape, daté du jeudi 26 juillet, lui donne l’occasion de s’expliquer.
Comment considère-t-il la théologie de la libération ?
Assez habilement, le nouveau gardien de la foi renvoie dos à dos ce qu’il appelle les « groupes de droite et de gauche », notamment la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X et les religieuses américaines, deux dossiers qui incombent à sa congrégation. Les premiers ne peuvent, observe-t-il, « faire référence à la Tradition de l’Église, et ensuite ne l’accepter que pour certaines parties ». Pour les religieuses, rejetant les arguments en faveur de l’admission des femmes au sacrement de l’ordre, il note que « l’on ne peut pas prononcer les trois vœux religieux et puis ne pas les prendre au sérieux ».
Mais c’est sur la théologie de la libération que les propos du nouveau préfet paraissent les plus novateurs. Mgr Müller, invité en 1988 à participer en Amérique latine à un séminaire avec Gustavo Gutiérrez, y est d’abord allé avec certaines réserves, puis a ensuite été conquis : « J’ai pu constater qu’il fallait faire la distinction entre une théologie de la libération erronée et une autre correcte. Je considère que toute bonne théologie concerne la liberté et la gloire des fils de Dieu. » Certes, dit-il, « le mélange de la doctrine d’une autorédemption marxiste avec le Salut donné par Dieu doit être rejeté ». Mais il poursuit : « Comment pouvons-nous parler de l’amour et de la miséricorde de Dieu face à la souffrance de si nombreuses personnes qui n’ont ni nourriture, ni eau, ni soins, qui ne savent pas comment ouvrir un avenir à leurs enfants, là où la dignité humaine est absente, là où les droits de l’homme sont ignorés par les puissants ? »
La théologie de la libération part en effet de l’expérience de pauvreté et d’exploitation vécue, et affirme qu’il est vain de parler de Salut et de libération en Jésus-Christ si l’on ne donne à ces mots une signification immédiate.
Est-ce une réhabilitation romaine de cette théologie ?
En réalité, il faut distinguer deux textes de la Congrégation pour la doctrine de la foi concernant la théologie de la libération. Le premier, en 1984, mettait fermement en garde contre l’utilisation de la pensée marxiste. Le second, en 1986, traçait au contraire une voie pour une telle théologie, dans la tradition chrétienne. Mais il est vrai que, sous les cieux romains, le terme reste souvent considéré comme a priori suspect. Mgr Müller replace cette théologie dans le cadre plus large de la doctrine sociale de l’Église. Lui-même, « fils d’un simple ouvrier d’Opel », à Mayence, a été influencé par l’héritage de Mgr Wilhelm von Ketteler, évêque de cette ville au XIXe siècle, précurseur de la doctrine sociale de l’Église.
Il raconte avoir passé chaque année en Amérique latine deux ou trois mois, « dans des conditions extrêmement simples » : « Au début, avoue-t-il, pour un citoyen de l’Europe centrale, cela demandait un gros effort. Puis, quand on commence à connaître les personnes et à voir dans quelles conditions elles vivent, alors on accepte… »
Mgr Müller a collaboré à l’écriture d’un livre sur la pauvreté et la théologie de la libération avec le P. Gutierrez en 2004.
Isabelle de Gaulmyn
pour La Croix