Marseille au centre d’un enjeu fondamental
La ville de Marseille et la Provence viennent d’inaugurer dans l’enthousiasme la promotion de Marseille comme capitale européenne de la culture pour 2013. Marseille, ville de passage et de transit, ville multiple en renouvellement permanent par les vagues successives d’immigrants qu’elle accueille, symbolise au plus haut point les bouleversements de nos sociétés mondialisées.
Dans ce contexte, bien loin d’être un supplément décoratif ou une fuite des réalités, la culture est enjeu fondamental pour recomposer du lien social.
Dans un monde en insécurité croissante existe la tentation du repli sur des groupes identitaires où, à défaut de citoyenneté, on partage un espace fusionnel bâti sur la conscience d’un ennemi commun.
Deux modèles pervers vont alors se développer.
- Le premier, sur la base de l’épuration ethnique, religieuse ou politique, répond à la question : comment éliminer le différent ?
- Le second cherche plutôt le repli. Son problème est : comment éviter l’autre ? C’est le modèle du ghetto.
Ces deux attitudes ont en commun de réduire l’autre à une caricature sommaire justifiant toutes les régressions intellectuelles, religieuses et politiques. La violence peut alors se déployer en retrouvant les pulsions les plus archaïques.
Au moment où certains nous enjoignent de choisir notre camp ou notre tribu avec le drapeau meurtrier du qui n’est pas avec nous est contre nous, une authentique démarche culturelle appelle plus que jamais à être sujet, à dire JE avant de dire NOUS.
Cela commence par se désengluer de toutes les appartenances qui voudraient nous enfermer. Au delà du jeu sommaire et mortel du conflit des étiquettes, nous avons à découvrir que le Bien et le Mal, le Vrai et le Faux, ne désignent pas des êtres humains ou des groupes, mais des tendances qui traversent chaque homme et chaque groupe. La maturité se traduit par la capacité de reconnaître cette ambiguïté qui nous habite tous et de travailler à l’assumer au lieu de la projeter avec violence sur les autres.
Plus fondamentalement, il s’agit de dépasser nos peurs par une confiance lucide et résolue dans nos capacités et celles des autres à évoluer. La frontière ne passe pas entre religions, nations, idéologies, mais, au sein de chacune, entre ceux qui se croient arrivés, bardés de leur certitude et de leur peur et ceux qui savent que du chemin reste à faire.
La grande tradition de la culture européenne devrait nous rappeler sans cesse que chaque marcheur rencontré n’est pas un ennemi éventuel, mais un enrichissant compagnon de route.
C’est ce qu’affirmait avec beaucoup de justesse Vaclav Havel, Président le République tchèque, le 15 mai 1996 à Aix-la-Chapelle, dans un discours sur l’âme de l’Europe :
« Depuis longtemps l’Europe n’est plus le chef d’orchestre universel (...). Une mission nouvelle s’offre à elle, et par là un contenu nouveau de sa propre existence. Cette mission ne consiste plus à diffuser – pacifiquement ou par la force – sa propre religion, sa propre civilisation, ses propres inventions ou sa propre puissance. (...) Si l’Europe en a la volonté, elle peut accomplir une tâche plus modeste et bien plus utile : servir d’exemple, par sa propre manière d’être, pour démontrer que toute une variété de peuples peuvent coopérer pacifiquement, sans perdre pour autant une once de leur originalité. (...) Une autre occasion encore s’offre à elle : celle de se rappeler ses meilleures traditions spirituelles et les racines de ses traditions, pour chercher ce qu’elles ont en commun avec les racines des autres cultures ou sphères de civilisation ».
Bernard Ginisty