Mariage homosexuel : droit, anthropologie, théologie ?
Quelques remarques sur le texte de Pierre Rastoin
Mariage civil – Mariage religieux
Je les espère de bon sens (y compris historique)
Je me situe d'abord dans le débat : je crois équitable de donner aux couples homosexuels des droits qui protègent leur situation civile (spécialement ce qui touche aux biens et à leur transmission). Que ces droits soient égaux à ceux d'une famille hétéro ne me pose pas problème. C'est le mot de mariage qui m'en pose. Quant à la question si importante de l'adoption, elle aurait mérité une réflexion plus approfondie, mais difficile à mener dans la mesure où il faudrait juger avec un recul que l'on n'a pas.
Mariage : Pierre Rastoin rappelle que cette institution – " apport fondamental " concède-t-il – a été créée par l'Église pour reconnaître et stabiliser un couple, avant d'être récupérée par l'État pour désigner un contrat civil, dont les tenants et aboutissements n'étaient pas entièrement les mêmes, en particulier depuis l'introduction du divorce. Alors pourquoi se crisper sur ce mot : si l'union civile est différente du mariage utilisons cet autre mot et tout le monde sera content. Une partie des opposants au Mariage Pour Tous auraient admis l’" union civile " en faveur des droits des homosexuels.
Le droit
Pour l'adoption, la reconnaissance par le Conseil constitutionnel d'un contrôle par l'autorité administrative (laquelle ?)d'une " exigence de conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant " introduit, on n'y a pas pris garde, une " discrimination " avec les couples hétéros qui font des enfants sans qu'on se préoccupe de savoir s'ils respectent effectivement cette exigence. Sans compter la difficulté de déterminer l'intérêt de l'enfant : vaut-il mieux une famille boiteuse (homo ou hétéro) ou l'orphelinat ?
L'anthropologie
La question n'est pas de savoir s'il est bien ou mal que la moitié des familles soient " divisées, recomposées, voire monoparentales ", c'est un fait. Savoir si cette " évolution des mœurs " – qui semble un critère déterminant de la réflexion de Pierre Rastoin – a été dans le sens du bien de l'enfant (4 fois cité par le Conseil constitutionnel) est une autre chose. Est-il normal et bon de devoir " s'habituer ", comme il est dit, à des situations qui peuvent troubler les consciences ? Pendant les guerres subies depuis 70 ans, on a eu faim, froid, peur ; on s'y est " habitué " ; ce n'était pas pour autant un idéal à propager.
Pourquoi pas le changement ? La conception " traditionnelle " de la famille (depuis le XIIe siècle tout de même, d'après Duby, même si elle a été vraiment formalisée par le concile de Trente, il y a près 450 ans) avait des côtés insupportables : la domination du mâle en particulier. C'est contre cela que les féministes ont d'abord lutté et à juste titre. Et les Églises (surtout la romaine) ont eu le tort d'en conforter ces aspects pour sauvegarder la stabilité et, longtemps, l'indissolubilité.
La question de l'homosexualité est complexe. On fait une erreur de confondre pour la Grèce antique cette pratique avec ce qu'était la pédérastie, dont la finalité se voulait pédagogique précisément et non un simple " choix d'orientation sexuelle ". Le problème actuel vient du désir viscéral des homosexuels, au nom de l'égalité, d'une reconnaissance de normalité, comme si c'était quelque chose d'aussi indifférent que la couleur des cheveux ou la taille des individus.
Sans parler de la loi naturelle, qui est, j'en suis d'accord, un concept philosophico-religieux sujet à caution, je constate que Pierre Rastoin rappelle que les Livres des religions monothéistes condamnent l'homosexualité, alors que dans l'argumentation des partisans du Mariage Pour Tous, on a fait parfois appel à la bénignité supposée de l'Évangile pour justifier sa reconnaissance.
La Théologie
Je suis d'accord avec ce qui est dit sur le couple dans la tradition scripturaire, et aussi à propos de la contraception. Cependant, la réflexion sur Paul et les femmes – consciencieusement répétée par tout le monde – mériterait la lecture du petit livre d'Annie Jaubert [qui avait le triple mérite d'être femme, universitaire et laïque] : Les femmes dans l'Écriture (Supplément à Vie chrétienne, mars 1979). Elle y explique ce que signifie le port du voile (1Corinthiens 11,5-6) et le silence imposé dans les assemblées (1Corinthiens 14,34) dans le contexte d'une ville bouleversée par les querelles violentes auxquelles participaient activement les femmes. Elle rappelle à l'inverse les innovations progressistes de Paul affirmant l'égalité homme/femme devant Dieu (Galates 3,28), l'égalité dans le domaine sexuel (1Corinthiens 7,3-4), le commandement fait aux maris d'aimer leur femmes (Colossiens 3,19), etc.
Sur l'adoption, je trouve qu'il est fourni peu d'arguments : elle serait inéluctable ? Pourquoi ? Le fait que certains pays l'aient adoptée (sans jeu de mots), ne me semble pas décisif ; arithmétique n'est pas raison. Dans ce cas, il y a autant de pays qui mettent les homosexuels hors la loi et, par conséquent, n'envisagent même pas la possibilité d'adoption.
D'accord encore avec les réserves énoncées sur les manipulations génétiques, mais qui nous assure qu'elles ne paraîtront pas " inéluctables " d'ici quelques années ou décennies ? La question fondamentale, sur tous ces problèmes où l'évolution des mœurs est en jeu [ce qu'on appelait la morale avant que ce mot devienne obscène], c'est jusqu'où peut-on mettre le doigt dans l'engrenage ?
Finalement, on a l'impression que la pensée de Pierre Rastoin oscille entre un accueil bienveillant de la nouveauté, ce qui peut être bien, et un certain nombre de principes contradictoires, intangibles, protecteurs de l'humain dont il reconnaît la justesse, sans marquer toujours, entre les deux, la " ligne rouge ", comme on dit. L'avant dernier paragraphe est symptomatique à cet égard, il constate qu'il y a un risque à mettre deux réalités sous un même mot… mais " pourquoi pas ? " semble-t-il conclure.
Marcel Bernos