Mariage civil – Mariage religieux
Jusqu'à la Révolution française et à la loi de 1792 créant le mariage civil, codifié par le Code Civil en 1804, seul existait en France le mariage religieux célébré dans les paroisses (imposé par l'Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 et formalisé par le Concile de Trente en 1562).
Avec le Concordat de 1801, l'Église Catholique a accepté non seulement le mariage civil mais aussi qu'il soit célébré, en Mairie, avant le mariage religieux, estimant probablement que l'importance apportée par la quasi unanimité des familles à la cérémonie religieuse permettait l'ambiguïté de l'appellation unique.
Malgré l'instauration du divorce par la loi Naquet de 1884, et surtout la loi de 1975 autorisant le divorce par consentement mutuel, malgré les multiples accrocs apportés par les diverses lois sur la filiation et surtout l'ordonnance du 4/07/2005 donnant l'égalité à tous les enfants quel que soit le statut de leurs parents, et tant que le mariage concernait l'union d'un homme et d'une femme, qu'il soit uniquement civil ou également religieux, la très grande majorité des français n'était guère troublée par l'évolution et l'ambiguïté des statuts du mariage.
La Loi Taubira du 23/4/2013, ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe, a provoqué un véritable séisme en France, qui n'est pas encore retombé, surtout chez les chrétiens, les plus nombreux bien sûr, mais aussi chez les français de confession juive (et probablement musulmane).
Et pourtant, on peut s'étonner que toutes ces personnes, et particulièrement leurs leaders, qu'ils soient religieux (chrétiens ou juifs) ou représentants d'associations diverses, n'aient pas compris que cette loi mettait peut-être fin à la fameuse ambiguïté née en 1792 entre mariage religieux (chrétien) et mariage civil, redonnant toute son importance au mariage religieux. Des trois façons de voir le mariage selon le droit, l'anthropologie (pour ne pas dire la "loi naturelle") ou la théologie, on a vu les religieux (chrétiens et juifs) s'engouffrer dans l'anthropologie ou des supposés ridicules (que ce soit G. Bernheim, l'ex-Gd Rabbin ou plusieurs évêques) et pratiquement négliger la théologie (sauf par le bout de la lorgnette de lois antiques et bien datées) alors que l'apport du mariage chrétien fut fondamental pour notre civilisation. Quelle erreur regrettable !
La loi Taubira, surtout dans sa version définitive (après le fameux "article balai" modifiant profondément l'article 4 du projet de loi) n'enlève rien au mariage civil traditionnel, notamment dans sa composante essentielle du consentement mutuel (qui doit tout au mariage chrétien) ; elle se contente d'ouvrir aux personnes du même sexe qui veulent se marier les mêmes droits qu'aux personnes hétérosexuelles.
Regardons ces trois points, droit, anthropologie et théologie, et voyons ce qui pose réellement problème ou en quoi le mariage chrétien, profondément novateur, reste essentiel.
Le Droit
Dans notre société démocratique, représentative, le législateur, à l'issue d'un long débat, a voté la loi, le Président l'a promulguée le 17 mai 2013, après que le Conseil constitutionnel a reconnu que cette loi n'était contraire à aucun principe constitutionnel. Les premiers décrets d'application sortent. La messe est dite, si je peux m'exprimer ainsi. Il est intéressant de constater, concernant l'adoption, partie la plus contestée par les divers opposants, que le Conseil constitutionnel est très net : « …en ouvrant le mariage aux couples de même sexe, la loi a pour conséquence de permettre l'adoption par des couples de personnes de même sexe ainsi que l'adoption au sein de tels couples. Le Conseil constitutionnel a jugé que la loi contestée n'a ni pour objet, ni pour effet de reconnaître aux couples de personnes de même sexe un droit à l'enfant. D'autre part, il a jugé que le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 implique le respect de l'exigence de conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant. Le Conseil a vérifié le respect de cette exigence par les dispositions applicables tant aux couples de personnes de même sexe qu'à ceux formés d'un homme et d'une femme. Ces couples sont soumis, en vue de l'adoption, à une procédure d'agrément. Le Conseil constitutionnel a jugé que, pour tous les couples, les dispositions relatives à cet agrément ne sauraient conduire à ce que celui-ci soit délivré sans que l'autorité administrative ait vérifié, dans chaque cas, le respect de l'exigence de conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant. Par ailleurs la loi déférée ne déroge pas à l'article 353 du code civil qui impose au tribunal de grande instance de ne prononcer l'adoption que si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant. Cette disposition met en œuvre, l'exigence constitutionnelle selon laquelle l'adoption ne peut être prononcée que si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant »… (Je soulignerai qu'en ces quelques lignes figurent quatre fois l'intérêt de l'enfant. Dans ce temple du droit où chaque mot est largement soupesé, ce ne peut être neutre).
On peut remarquer que le Conseil constitutionnel était, à l'occasion, composé de dix personnes, un des membres de droit, V. Giscard d'Estaing s'étant adjoint aux neuf "sages", que la plupart d'entre eux avaient été désigné par la droite et qu'il suffit de consulter leur C.V. pour constater qu'une majorité est sûrement proche du christianisme.
Je me permets de rappeler, à cette occasion, la déclaration de Napoléon Bonaparte (encore 1er Consul) devant le Conseil d'État, lorsqu'on lui présente le Code Civil, début 1804 : « Les lois sont faites pour les mœurs et les mœurs varient. Le mariage peut donc être soumis au perfectionnement graduel auquel toutes les choses humaines paraissent soumises ».
La sociologue Irène Théry remarquait en 2012, commentant l'évolution actuelle du droit de la famille, après les multiples lois qui en ont bouleversé l'organisation et notamment l'ordonnance du 4/07/2005 : « Le mariage n’est plus le socle de la famille. Depuis que l’on a aboli toute distinction entre la filiation légitime et la filiation naturelle, la présomption de paternité n’est plus le cœur du lien matrimonial. Le mariage, c’est désormais l’union d’un couple ».
L'anthropologie
Malgré la beauté du logo figurant à tous les moments des défilés qui ont arpenté les rues de Paris et des principales villes (drapeaux, tee-shirts, panneaux divers), il est évident pour tous que cette famille idéale composée d'une maman en jupe et d'un papa donnant chacun la main à un petit garçon et à une petite fille, est de moins ne moins réaliste, si elle a jamais existé. Près de la moitié des familles françaises sont divisées, recomposées, voire monoparentales. Leurs enfants ont, depuis des années, pris l'habitude de composer avec des doubles ou triples parents. Certains en sont fortement troublés avec les conséquences que nous connaissons malheureusement bien, d'autres font avec et s'y sont habitués. Se trouver adoptés par un ou deux parents de même sexe, ils finiront aussi par s'y habituer.
Vouloir considérer comme immuable, et créé de tous temps, un modèle de famille que l'Occident connaît depuis quelques deux ou trois siècles seulement est quelque peu abusif. Il n'y a guère de modèle familial unique type ; il est divers, plus ou moins patriarcal aux quatre coins du monde. E. Todd en a dressé une liste, diversement répandus selon les pays ou les régions. Certes la base en est toujours le couple homme/femme, mais que de variantes ! D'autre part, sans tomber dans les excès de la théorie du genre (je n'ai pas lu Trouble dans le genre, de Judith Butler, de toute façon c'est, dit-on, très difficile à lire…) les progrès des sciences de l'homme nous montrent à quel point, chez beaucoup, la fixation du sexe n'est pas parfaitement claire, d'autant que médecine et chirurgie s'en sont mêlées.
Quant à l'homosexualité, elle a toujours existé dans tous les pays et civilisations, plus ou moins acceptée, valorisée (dans la Grèce classique, elle faisait partie intégrante de la formation des jeunes garçons). Seule la tradition juive, puis celles qui en sont issues (chrétienne et musulmane) l'ont condamnée sans discussion avec souvent une stigmatisation, voire une persécution des personnes homosexuelles.
Et ne parlons pas de loi naturelle ; il suffit de se balader dans la campagne, ou même dans nos villes, pour constater que les animaux ne s'embarrassent guère d'interdits en l'espèce.
La théologie
J'insisterai surtout la théologie (c'est plus facile pour le béotien que je suis en l'espèce).
Pour nous, occidentaux, formés par la tradition chrétienne, je devrais dire judéo-chrétienne, cette loi permet, et on peut regretter que nos responsables religieux ne l'aient pas assez souligné – l'ont-ils remarqué seulement – de redonner tout son sens au mariage religieux en le rattachant aux textes fondateurs de la Genèse et du nouveau Testament.
Et si ce n'était que le mariage religieux ! C'est le cœur même de notre civilisation, les principes qui sont les plus chers à notre sensibilité qui ont été modelés par la vision biblique puis évangélique, du couple humain, homme/femme.
Durant le long débat lancé par le projet de loi Taubira, ont été multipliées les citations de la Bible, souvent à partir de récits très mythiques (Sodome) ou très datés (lois du Lévitique).
Je préfère me contenter de la simple, mais fondamentale, déclaration de Jésus dans sa controverse avec les pharisiens, racontée dans l'Évangile de Marc au ch. 10 et souvent lue aux cérémonies de mariage : Au commencement, quand Dieu a tout créé, « il les fit homme et femme », dit l'Écriture. « C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme et les deux deviendront une seule chair. » Ainsi, ils ne sont plus deux mais un seul être. Que l'homme ne sépare donc pas ce que Dieu a uni (cet épisode est raconté seulement dans les Évangiles de Marc et de Matthieu). Jésus mixe les deux récits de la création, c'est loin d'être neutre. Et il donne une grande solennité à sa déclaration l'initiant par un mot chargé de résonnance pour les juifs « Au commencement », beréchit. C'est le premier mot de la Genèse qui ouvre toute la Bible, c'est aussi celui par lequel, bien plus tard, Jean commencera son Évangile.
Je ne me souviens pas avoir trouvé, dans les commentaires ecclésiaux, que ce Au commencement annulait tout simplement les conséquences, pour la femme, de la faute originelle rappelées dans la Genèse quelques versets plus loin : À la femme, il dit : « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. » Une fois de plus, Jésus fait abstraction du passé et comme en de multiples occasions (avec la femme samaritaine en Jean 4, avec la femme adultère, Jean 8…), il remet en route, pousse en avant, ayant pardonné au passage.
Et le mot hébreux traduit par une seule est ehad, celui-là même qui caractérise Dieu, ainsi dans la première prière juive, le shema Israël : Adonaï ehad, le Seigneur un. Pour Jésus, l'important c'est l'identité humaine de l'homme et de la femme, leur complémentarité, à l'image et à la ressemblance de Dieu. Cette union de l'homme et de la femme qui forme l'humain (l'Adam dit la Genèse) réalise l'unité qui existe en Dieu. Elle ne vient pas de l'humain, elle est proprement sacrée. Pour Jésus, la finalité du couple c'est de réaliser sur terre cet amour sacré qui vient de Dieu même : le couple est proprement le corps de Dieu en ce monde (Paul, dans son épître aux Corinthiens suit bien cette idée). La réduction de la femme à une esclave, un objet sexuel, à sa fonction de procréation, est proprement idolâtre (et Jésus le manifestera à de nombreuses occasions). Et pourtant à peine quelques années plus tard, Paul dans sa 1e Épître aux Corinthiens (ch. 11 et ch. 14…) ou encore plus dans la 1e à Timothée 2,12 – je ne permets pas à la femme d'enseigner ni de faire la loi à l'homme, qu'elle garde le silence ! – manifestera son ignorance complète de cette parole si importante de Jésus. Il n'avait pas pu lire les Évangiles et on ne lui a pas tout raconté…
Déjà les sages d'Israël avaient amélioré considérablement le statut de la femme par rapport aux peuples voisins, mais Jésus par ses paroles, sa pratique calme et délibérée, en faisant abstraction de l'impureté rituelle des femmes, en leur parlant librement, en se laissant accompagner par elles, en les enseignant (Marie de Béthanie aux pieds de Jésus…), a entamé une révolution proprement anthropologique. Et quand on constate qu'il a fallu encore près de deux millénaires pour arriver à la "parité", on peut mesurer l'ampleur de cette révolution.
Le point de vue de Jésus sera enfin reconnu par l'Église, au cœur du Moyen Âge, au 4e concile du Latran en 1215, quand elle décida qu'il ne pouvait y avoir de mariage que dans la mesure où l'homme et la femme signifiaient leur consentement mutuel. Cette décision sera codifiée 6 siècles plus tard au Concile de Trente. Et cette tradition qui remonte à Jésus lui-même, si ce n'est aux auteurs de la Genèse, souvent mal suivie et parfois même bafouée, est à la racine de notre culture occidentale chrétienne. Elle imprègne notre littérature, notre droit, nos coutumes, notre manière de vivre, jusqu'à notre conception des Droits de l'Homme et… de la Femme.
Incidemment, on peut se demander pourquoi malgré ces paroles aussi limpides de Jésus concernant l'union physique, "charnelle", amoureuse, la tradition de l'Église a pu si longtemps (jusqu'à Jean-Paul II, en fait) privilégier presque uniquement la procréation comme fin du mariage, allant jusqu'à interdire toute contraception, au nom d'une prétendue loi naturelle.
Ce couple homme/femme qui forme l'humain nous semble une évidence aujourd'hui dans nos pays occidentaux de tradition chrétienne, la femme n'y est pas un sous-homme ou tirée de l'homme comme l'écrit St Paul. Mais cette évidence ne l'était surement pas au 1er siècle dans tout le monde méditerranéen, y compris en Judée et surtout pas à Rome ou à Athènes et, encore aujourd'hui, qu'en est-il dans bien des pays ?...
Cette communauté homme/femme va, par la suite, "contaminer" toute la conception des rapports sociaux en Occident. Elle n'est, en aucun cas "naturelle", il n'est que de voir la condition de la femme dans la plupart des autres civilisations de la planète.
Cette croyance révolutionnaire, totalement nouvelle, rompt la "condition" de la femme destinée à procréer, à servir ou à satisfaire la pulsion violente de l'homme, femme dont il faut alors bien cacher le corps.
Et c'est bien au nom de cette croyance que les chrétiens (avec leur hiérarchie ecclésiale) doivent s'opposer à toute marchandisation du vivant, à commencer par le corps de la femme qu'entraîneraient des pratiques comme la GPA.
Cette conception dynamite en fait toute cette tradition patriarcale qui maintient encore nombre de pays dans une dépendance qui bloque tout progrès moderne et dont l'Occident chrétien s'est libéré, source de son dynamisme culturel, intellectuel, économique…
(Ce paragraphe doit beaucoup à trois beaux livres qui m'ont marqué : Histoire des Chrétiennes, d'Élisabeth Dufourcq, Jésus le rabbin qui aimait les femmes, de Didier Long, Dieu aime-t-il les femmes ?, d'Anne Soupa).
Malgré les rodomontades, la Loi Taubira rentrera dans les mœurs, comme l'avait déjà prévu N. Bonaparte en 1804. Elle ne sera pas la dernière à modifier cette institution fondamentale qu'est la famille. En fait, cette loi permettant le mariage entre personnes homosexuelles, y compris l'adoption conséquente, fruit d'une évolution inéluctable et déjà dans les faits dans bon nombre de pays, ne serait-elle pas un leurre pour détourner les foules crédules des vraies questions (en "jouant" sur leur homophobie plus ou moins inconsciente) ? Le problème majeur auquel nous sommes déjà confrontés (en laboratoire seulement pour l'instant) c'est la manipulation du vivant, ce sont toutes les recherches sur l'embryon ou la modification du génome humain. Il est autrement plus grave, et chargé de conséquences, que les modifications de la loi sur le mariage. Ce n'est plus de civilisation qu'il est question, c'est de l'avenir de la personne.
Nous avons la chance d'avoir, en France, une institution respectée, le Comité Consultatif National d'Éthique (CCNE) qui, en dehors de toute pression, peut, et parfois doit, donner des avis. Profitons-en.
Cela dit, on peut comprendre que mettre sous le même mot de mariage l'union originelle de l'homme et de la femme et celle de deux couples du même sexe comporte un risque grave, humaniste et même civilisationnel. Mais le sens des mots évolue…
On ne peut que souhaiter, sans risque grave de se tromper, que l'Église conservera le mariage religieux comme l'union d'un homme et d'une femme, gardant la lettre et l'esprit de la Bible et de Jésus et garante d'une évolution civilisationnelle et d'un humanisme dont nous sommes, à juste titre, fiers.
Pierre Rastoin
31 Mai 2013