Manuel Valls, André Vingt-Trois et la laïcité
Vendredi 4 octobre au soir, l’archevêque de Paris et le ministre de l’Intérieur étaient invités au collège des Bernardins par La Croix, à l'occasion des 130 ans du quotidien, pour débattre de la laïcité, et de la place pour les chrétiens dans le débat public.
Débat trop consensuel ? Ou bien plutôt le constat que, sur la laïcité, en France, Église et État ont plus de points d’entente que de différences… Les 350 lecteurs de La Croix, qui ont assisté, vendredi 4 octobre au collège des Bernardins à Paris au débat organisé par le quotidien catholique entre le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, et Manuel Valls, ministre de l’Intérieur en charge des cultes, étaient partagés.
De fait, les échanges entre l’homme d’Église et l’homme d’État n’ont pas donné lieu à un affrontement frontal. Au contraire. Sensibles sans doute à la présentation de La Croix faite en introduction par Dominique Quinio, sa directrice, comme d’un journal soucieux d’être dans la« pédagogie » et non dans les « petites phrases politiques », les deux interlocuteurs ont abordé le sujet « laïcité, quelle place pour les chrétiens dans le débat public ? » avec le souci du dialogue constructif.
Ce qui ne gomme pas les différences d’approche. Ainsi, l’archevêque de Paris voit la laïcité d’abord comme un moyen d’assurer l’ordre public, puis comme le système institutionnel pour réguler en France les relations entre les religions et l’État. Le ministre de l’Intérieur, lui, préfère insister sur « la liberté de conscience, c’est à dire la liberté de croire ou de ne pas croire », qu’autorise, selon lui, la laïcité. Mais l’un comme l’autre s’accordent à affirmer que l’application de la laïcité, telle que définie par la loi de 1905 en France, ne signifie pas la disparition des religions de l’espace public.
Plus incisif, le cardinal Vingt-Trois a cependant voulu rappeler quelques convictions, qui pouvaient sonner comme autant de mises en garde. Ainsi, mentionnant l’ouvrage écrit par un autre ministre du même gouvernement, Vincent Peillon : « Une religion pour la République : La foi laïque de Ferdinand Buisson », il a noté qu’il existe un courant philosophique voulant ériger la laïcité en « une sorte de religion laïque ». Avec cette perspective, a-t-il dit, l’État sort de la neutralité en prétendant soustraire l’individu de toute influence: il s’agit là d’une « conception idéalisée de la liberté », car « est-on jamais protégé de toute influence ? ».
Dans cette « volonté d’éradiquer les références judéo-chrétiennes pour une vision plus neutre de l’universel », notamment dans l’Éducation nationale, l’archevêque de Paris voit au fond deux risques : d’une part, celui d’attiser les particularismes en fanatisme. Et d’autre part,de rejeter les chrétiens vers une position de minorité culturelle condamnée au sectarisme.
Des religions pas toujours écoutées
Très apaisant, le ministre de l’intérieur s’est refusé, lui,à parler de crispations sur la laïcité. Manuel Valls en veut pour preuve ses nombreux déplacements dans les lieux de culte, ses rencontres régulières avec les responsables religieux, toutes religions confondues.
« Si l’État ne reconnaît aucun culte, pour autant, il les connaît très bien » s’est-il exclamé. « Il est sans fondement d’affirmer qu’il y aurait une négation du fait religieux aujourd’hui »,a-t-il même ajouté. Il a pourtant ensuite admis que les religions n’avaient pas toujours été suffisamment écoutées lors de précédents débats, allusion sans doute au vote de la loi sur le mariage pour tous, et que certaines idées, comme de supprimer des fêtes religieuses, étaient le fait de « voix peu éclairées ».
Enfin, le ministre socialiste a aussi reconnu que l’on n’était sans doute pas allé jusqu’au bout dans l’enseignement du fait religieux dans les écoles. Certes, « dans notre pays, certains groupes ont une sensibilité exacerbée sur les questions de laïcité mais c'est une minorité » a-t-il expliqué, pour ensuite souligner toute l’importance du christianisme, y compris dans ses oppositions : « en se saisissant des questions de société, l'Église rend service à la société ».
Différence structurelle entre l’Église et la politique
Quoi qu’il en soit, comme l’a dit le cardinal Vingt-Trois, ces difficultés et frottements entre l’État et les religions sont normales : « il y a une différence structurelle et objective entre l'Église et la politique », car les objectifs ne sont pas les mêmes. « Je n'ai pas la responsabilité de la gestion politique de la société mais celle d'affirmer mes convictions » a ainsi expliqué l’archevêque de Paris. Et « ceux qui veulent que la religion soit coextensive à la politique se trompent ». Il est donc vain de « rêver à une sorte d’harmonie institutionnelle » entre les deux sphères, qui n’existera jamais.
Cette illusion existe encore chez quelques catholiques, a-t-il reconnu, ceux qui souhaitent une société politiquement chrétienne. Mais elle est surtout le fait de certains courants de l’islam, qui « n’ont pas une vision différenciée de la gestion du politique et du religieux ».
Sur l’islam justement, et sa capacité d’intégration dans la laïcité, objet de plusieurs questions de la salle, le ministre de l’Intérieur a reconnu que le problème n’était pas toujours simple. Mais justement « l'un des grands défis de la France et de l'Europe, c'est d'assimiler et d’intégrer l'islam ». Pour cela, il faut du temps, et de la patience, a-t-il plaidé :« On demande à l'islam d'accomplir en quelques années ce que d'autres religions ont mis beaucoup plus longtemps à réaliser ».
Isabelle De Gaulmyn
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