Main de Dieu, main de grenouille…
« La main de Dieu », cette heureuse (?) expression est due au footballeur argentin Diego Maradona qui l’avait employée pour qualifier la façon, disons peu orthodoxe, dont il avait marqué un but décisif contre l’Angleterre lors d’un match de coupe du monde. À propos de Thierry Henry, dont le tour de main n’est pas moindre – on lui doit la qualification la France pour la prochaine coupe du monde –, la presse anglo-saxonne parle aujourd’hui de « main de grenouille » : c’est bien le moins s’agissant d’un de ces « frogeaters » que passent pour être outre-Manche tous les « Frenchies » !
Dans notre hexagone, cependant, il s’en faut que l’indignation soit aussi grande – et c’est là un doux euphémisme. Dans leur grande majorité, supporters, « sportifs », journalistes, hommes politiques, avouent certes du bout des lèvres un certain sentiment de malaise, mais c’est pour se féliciter aussitôt du « pas vu pas pris » qui fait tout le sel de cette minable tricherie – car il faut bien tout de même appeler un chat un chat. L’important, après tout, n’est-il pas la qualification de l’équipe et les écus sonnants et trébuchants qu’elle vaudra aux équipementiers, sponsors, patrons de chaînes de télé, tenanciers de bistros, que sais-je encore ? D’autant que donner des jeux du cirque au peuple n’a jamais fait de mal, surtout quand le pain se fait rare…
Tout cela est bel et bon, dira-t-on, mais de là à considérer la chose comme un « signe des temps » ! Après tout, il ne s’agit que de sport dont on sait bien ce qu’il est aujourd’hui ; peut-on généraliser ainsi à partir d’un fait-divers isolé ? Isolé, vraiment ? Voici que le lendemain même de l’exploit de Thierry Henry, ma radio favorite m’apprend l’investiture d’Hamid Karzai, élu président de l’Afghanistan dans des conditions qui n’ont rien à envier à la façon dont l’équipe de France a été qualifiée. Et cela sous les yeux (sans doute embués de larmes d’émotion, mais le journaliste ne le disait pas) d’Hilary Clinton, Bernard Kouchner et autres gros poissons venus tout exprès saluer ce triomphe des démocraties occidentales et de la ferme politique qu’elles mènent contre le terrorisme taliban !
Vraiment, en cette fin de novembre, « un ciel bas et lourd pèse comme un couvercle » sur notre monde, ainsi que le dit un poème de Baudelaire justement intitulé « Spleen ».
Benoît Lambert