« Lumière du monde »

Publié le par G&S

Le pape, l’Église et les signes des temps

Le jounal La Croix publie en exclusivité des extraits de « Lumière du monde ».
Le livre-entretien de Benoît XVI avec Peter Seewald
a été présenté mardi 23 novembre à la presse, dans ses versions italienne et allemande.
L’ouvrage a été écrit à partir d’entretiens, en allemand, entre le pape et le journaliste,
qui ont eu lieu du 26 au 31 juillet, à Castel Gandolfo
.

Après une première partie générale, sur les « signes des temps », le livre aborde en seconde partie « le pontificat », puis s’attache à une vision plus prospective sur l’Église et le christianisme : « Où allons-nous ? »

C’est le deuxième livre-entretien de Peter Seewald avec Joseph Ratzinger après Le Sel de la terre : le christianisme et l’Église catholique au seuil du troisième millénaire, qui était sorti en 1997, donc avant que le théologien allemand ne soit élu pape. Peter Seewald avait également exposé la pensée de Joseph Ratzinger dans Voici quel est notre Dieu (en 2001). La version française de Lumière du monde sera disponible à partir du 3 décembre, aux Éditions Bayard.

 « On est vraiment triste de constater la misère de l’Église »

(...) Quand on replonge une fois encore en tant qu’auteur, avec un esprit totalement neuf, dans cette histoire, n’est-on pas forcément un peu assombri de constater à quel point l’Église n’a cessé de s’éloigner du chemin que lui a indiqué le fils de Dieu ?

Oui, nous venons de le vivre en ce temps de scandales : on est vraiment triste de constater la misère de l’Église et à quel point certains de ses membres ont échoué dans la succession de Jésus Christ. Il est nécessaire que nous fassions cette expérience, pour notre humiliation, pour notre véritable humilité. L’autre point, c’est que malgré tout, Il ne l’abandonne pas. Qu’en dépit de la faiblesse des hommes, car c’est en eux qu’elle se manifeste, Il tient bon, Il éveille les saints en eux et Il est là à travers eux. Je crois que ces deux sentiments vont de pair : la consternation face à la misère, la présence du péché dans l’Église et la forte émotion que procure le fait de constater qu’il n’abandonne pas cet outil, mais qu’il agit avec lui ; qu’il se montre constamment de nouveau à travers l’Église et en elle.

(...) Dans cette société tellement abîmée sur de nombreux plans et dont nous avons beaucoup parlé au cours de cet entretien, l’urgente mission de l’Église n’est-elle pas aussi et justement de faire tout spécialement comprendre en quoi l’Évangile offre le salut ? (...)

Oui, c’est un point décisif. L’Église n’impose rien à personne, elle ne présente pas un quelconque système moral. Ce qui est vraiment décisif, c’est qu’Il existe. Que l’Église ouvre les portes vers Dieu et donne ainsi aux gens ce qu’ils attendent le plus, ce dont ils ont le plus besoin, et ce qui peut aussi leur apporter la plus grande aide. Elle le fait avant tout par le biais du grand miracle de l’amour, qui ne cesse de se répéter. Lorsque des gens, sans en tirer profit, sans que leur métier les oblige à le faire, motivés par le Christ, prêtent secours et assistance à d’autres. Ce caractère thérapeutique du christianisme, pour reprendre les termes d’Eugen Biser, celui qui guérit et qui offre, devrait effectivement apparaître beaucoup plus distinctement.» http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif

« Le pape, simple mendiant devant Dieu »

Votre foi a-t-elle changé depuis qu’en tant que pasteur suprême vous êtes responsable du troupeau du Christ ? On a parfois l’impression que la foi est devenue plus mystérieuse, plus mystique.

Je ne suis pas un mystique. Mais il est exact qu’en tant que pape, on a encore beaucoup plus d’occasions de prier et de s’en remettre entièrement à Dieu. Car je vois bien que presque tout ce que je dois faire, je ne suis personnellement pas capable de le faire. Ne serait-ce que pour cette raison, je suis pour ainsi dire forcé de me mettre dans les mains du Seigneur et de Lui dire : « Fais-le, si Tu le veux ! » En ce sens, la prière et le contact avec Dieu sont encore plus nécessaires maintenant, et aussi plus naturels, et vont de soi bien plus qu’auparavant.

Pour parler en profane : existe-t-il une « meilleure liaison » avec le ciel, ou quelque chose comme une grâce d’état ?

Oui, on le sent parfois. Au sens de : j’ai pu faire quelque chose qui ne venait pas du tout de moi. Maintenant je m’en remets au Seigneur et je constate : Oui, il y a là une aide, quelque chose se fait qui ne vient pas de moi-même. En ce sens, on fait totalement l’expérience de la grâce d’état. (…)

Et comment prie le pape Benoît ?

En ce qui concerne le pape, il est aussi un simple mendiant devant Dieu, plus encore que tous les autres hommes. Naturellement je prie toujours en premier notre Seigneur, avec lequel je me sens lié pour ainsi dire par une vieille connaissance. Mais j’invoque aussi les saints. Je suis lié d’amitié avec Augustin, avec Bonaventure, avec Thomas d’Aquin. On dit aussi à de tels saints : Aidez-moi ! Et la Mère de Dieu est toujours de toute façon un grand point de référence. En ce sens, je pénètre dans la communauté des saints. Avec eux, renforcé par eux, je parle ensuite avec le Bon Dieu, en mendiant d’abord mais aussi en remerciant – ou tout simplement rempli de joie ».http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif

« Remettre avant tout en lumière la priorité de Dieu »

 (…) Jean XXIII s’est référé au changement survenu après les deux Guerres mondiales pour voir dans les « signes des temps », (il le dit dans sa bulle Humanae salutatisdu 25 décembre 1961, pour la convocation de Vatican II) la nécessité d’un concile, même s’il était alors un vieil homme malade. Benoît XVI fera-t-il la même chose ?

Jean XXIII a fait un grand geste non renouvelable en confiant à un concile universel la tâche de comprendre à nouveau aujourd’hui la parole de la foi. Avant toute chose, le concile s’est chargé et acquitté de la grande tâche de redéfinir aussi bien la destination que la relation de l’Église avec l’ère moderne, et la relation de la foi avec ce temps et ses valeurs. Mais transposer ce qui est dit dans l’existence et rester en même temps dans la continuité intérieure de la foi, c’est un processus bien plus difficile que le concile lui-même. D’autant plus que le Concile a été connu par le monde à travers l’interprétation des médias et moins par ses propres textes que presque personne ne lit.

Je crois que notre grande tâche est maintenant, une fois quelques questions fondamentales éclaircies, de remettre avant tout en lumière la priorité de Dieu. Aujourd’hui, l’important est que l’on voie de nouveau que Dieu existe, qu’Il nous concerne et qu’Il nous répond. Et qu’inversement, s’Il manque, aussi intelligent que soit tout le reste, l’homme perd alors sa dignité et son humanité particulière, et qu’ainsi l’essentiel s’effondre. C’est pourquoi, je crois, poser la priorité de la question de Dieu doit être aujourd’hui le point sur lequel nous devons faire peser tout notre effort.

(…) Karol Wojtyla avait pour mission de faire franchir le seuil du IIIe millénaire à l’Église catholique. Quelle est la mission de Joseph Ratzinger ?

Je dirais que l’on ne devrait pas autant démembrer l’Histoire. Nous œuvrons à un tissu commun. Karol Wojtyla a été en quelque sorte offert par Dieu à l’Église dans une situation critique très précise : d’un côté, la génération marxiste, la génération de 68, mettait en question l’Occident tout entier, et de l’autre, le socialisme réel qui s’effondrait. Dans cet affrontement, ouvrir une percée à la foi et la montrer comme le centre et le chemin, c’était un instant historique d’une nature singulière. Il n’est pas obligatoire que chaque pontificat ait une toute nouvelle mission à remplir. Il s’agit à présent de continuer et de saisir la dramaturgie de l’époque, de maintenir en vie la parole de Dieu comme parole décisive – et en même temps de donner au christianisme cette simplicité et cette profondeur sans lesquelles il ne peut pas agir. » http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif

« Staline avait raison de dire que le pape n’a pas de divisions »

Vous êtes maintenant le pape le plus puissant de tous les temps. Jamais auparavant l’Église catholique n’a eu autant de fidèles, jamais encore elle n’a connu une telle extension, littéralement jusqu’aux extrémités du monde.

Bien sûr, ces statistiques sont importantes. Elles indiquent à quel point l’Église s’est propagée, elles montrent la taille de cette communauté qui englobe races et peuples, continents, cultures, hommes de toute sorte. Mais le pouvoir du pape n’est pas fondé sur les chiffres.

Pourquoi pas ?

La communion avec le pape est d’un autre ordre, tout comme, bien entendu, et naturellement, l’appartenance à l’Église. Parmi ce 1,2 milliard, beaucoup n’en font pas intimement partie. Saint Augustin l’a déjà dit en son temps : il en est beaucoup dehors qui semblent être dedans, et il y en a beaucoup dedans qui semblent être dehors. En matière de foi, d’appartenance à l’Église catholique, intérieur et extérieur sont mystérieusement entrelacés. En cela Staline, déjà, avait raison de dire que le pape n’a pas de divisions et qu’il ne commande rien. Il n’est pas non plus à la tête d’une grande entreprise où tous les fidèles de l’Église seraient pour ainsi dire ses employés ou ses sujets. D’un côté, le pape est un être tout à fait impuissant. D’un autre côté, il a une grande responsabilité. Il est, dans une certaine mesure, celui qui conduit, le représentant de la foi, il a en même temps la responsabilité de faire que l’on croie en la foi qui unit les hommes, qu’elle demeure vivante et qu’elle reste intacte dans son identité. Mais seul le Seigneur Lui-même a le pouvoir de maintenir les hommes dans la foi.http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/pix_trans.gif

« Un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement »

C’est un fait : partout où un quelqu’un veut avoir des préservatifs, il en a à sa disposition. Mais cela seul ne résout pas la question. Il faut plus que cela. Depuis peu s’est développé, y compris dans les milieux laïques, ce que l’on appelle la théorie ABC, pour Abstinence, Be faithful, Condom (Abstinence, fidélité, préservatif ), où le préservatif n’est conçu que comme un pis-aller si les deux autres éléments ne fonctionnent pas. Cela signifie que la seule fixation sur le préservatif représente une banalisation de la sexualité. Or cette banalisation est justement à l’origine d’un phénomène dangereux : tant de personnes ne trouvent plus dans la sexualité l’expression de leur amour, mais uniquement une sorte de drogue qu’ils s’administrent eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle le combat contre la banalisation de la sexualité est aussi une partie de la lutte menée pour que la sexualité soit vue sous un jour positif, et pour qu’elle puisse exercer son effet bénéfique dans tout ce qui constitue notre humanité.

Il peut y avoir des cas particuliers, par exemple lorsqu’un prostitué utilise un préservatif, dans la mesure où cela peut être un premier pas vers une moralisation, un premier élément de responsabilité permettant de développer à nouveau une conscience du fait que tout n’est pas permis et que l’on ne peut pas faire tout ce que l’on veut. Mais ce n’est pas la véritable manière de répondre au mal que constitue l’infection par le virus VIH. La bonne réponse réside forcément dans l’humanisation de la sexualité.

Cela signifie que l’Église catholique, sur le principe, n’est pas du tout opposée à l’utilisation des préservatifs ?

Elle ne la considère naturellement pas comme une solution véritable et morale. Dans l’un ou l’autre cas, dans l’intention de réduire le risque de contamination, l’utilisation d’un préservatif peut cependant constituer un premier pas sur le chemin d’une sexualité vécue autrement, une sexualité plus humaine.

Journal La Croix

Publié dans Réflexions en chemin

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F
<br /> <br /> Merci, Père Benoît XVI, de nous surprendre avec cette parole étonnante,  d’une tonalité, aussi  directe et libre, au sein même d’un environnement aussi suranné que celui du Vatican.<br /> Oui, l’Esprit souffle où Il veut….<br /> Francine Bouichou-Orsini<br /> <br /> <br /> <br /> <br />
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