Liturgie électorale et pratique gestionnaire
L’enjeu fondamental de toute société réside dans sa capacité de faire de la politique, c’est-à-dire de réguler concrètement les forces économiques, financières, de sécurité intérieure et extérieure, au service du bien commun, de la justice sociale et de la solidarité.
Chaque échéance électorale devrait être l’occasion d’un grand débat politique sur ces questions.
Malheureusement, nous assistons trop souvent à la juxtaposition de discours gestionnaires qui se présentent comme le seul cercle de la raison possible et de propos d’autant plus radicaux qu’ils se gardent trop souvent de se risquer dans des propositions concrètes.
Faut-il voir là l’illustration de ce que le grand historien François Furet appelle, dans un texte posthume, l’énigme française, qu’il caractérise ainsi : « faire du programme maximaliste destiné aux militants le préalable d’une pratique gouvernementale opportuniste ».
Il y aurait donc une liturgie électorale, où nobles sentiments et affirmations péremptoires permettraient des célébrations d’autant plus fortes qu’elles évoquent un monde idéal. Et puis on passerait aux choses sérieuses, aux pratiques gestionnaires où le clivage droite-gauche apparaît beaucoup moins tranché.
Pour sortir de ces simplismes, il est indispensable de démystifier la conception totalisante du politique. Il y a d’autres espaces sociaux à vivre qui nécessitent d’autres rythmes, ceux, entre autres, de l’éducation, de la vie associative, de l’art, de la science, de la recherche spirituelle. Le politique exerce la responsabilité d’organiser le vivre-ensemble, quels que soient les degrés d’évolution des individus.
Confondre le temps de l’efficacité du pouvoir politique et le temps des longues évolutions des personnes et des mentalités conduit à des impasses.
Il n’y a de vie démocratique qu’en conjuguant ces deux exigences de l’être humain, celle de son évolution personnelle et celle de sa solidarité quotidienne avec ses semblables.
Elle permet au citoyen d’échapper à la fois à l’impitoyable sélection par la violence et l’argent, et à la tentation du refuge dans des organisations qui dispenseraient chacun du nécessaire travail personnel de culture et de sens.
Une fois de plus se vérifie cette vérité fondamentale : il n’y a pas d’expérience du monde qui ne soit aussi une expérience de soi. Faute de l’avoir compris, partis et mouvements connaissent une hémorragie de militants.
L’art politique consiste à contribuer à l’évolution des sociétés à des rythmes supportables, sous peine de déclencher des processus réactionnaires. Pour cela, face au pouvoir sont indispensables une presse libre, un débat citoyen, des contre-pouvoirs, bref, une société civile.
Seule cette confrontation permanente évite au politique de sombrer dans le cynisme du pouvoir pour le pouvoir ou dans la fuite dans de stériles radicalités.
Bernard Ginisty