Lettre aux évêques de France
Messeigneurs, et chers Pères
Voici deux semaines, nous vous avons fait parvenir un bref courrier afin de vous indiquer dans quel esprit nous avons pris l’initiative de créer la Conférence des Baptisé-e-s de France (CBF). Nous vous avions annoncé que nous reviendrions vers vous pour le début du mois de novembre. Nous y voilà.
L’année qui vient de s’écouler a été pour nous une année de prise de conscience, nous avons utilisé le mot dans notre courrier précédent, de « réveil » et pour nous, il ne s’agit de rien de moins qu’un sursaut de la conscience.
Notre Église ne va pas bien. Non seulement parce qu’elle manque de moyens, inutile de refaire un bilan que tout le monde connaît, mais surtout parce qu’elle a un problème de moral. En un mot, nous n’avons pas le moral parce que nous ne cessons d’avoir les yeux fixés sur ce qui nous manque, sur ce que nous avons perdu.
Nous n’avons pas le moral, et nous avons peur de l’avenir.
Face à cette situation, on peut réagir de différentes façons : le déni, « mais non, ça ne va pas mal », l’atténuation, « ça ne va pas si mal que cela », la banalisation ; « l’Église en a connu bien d’autres ».
On peut se laisser aller à la pensée magique « bientôt, ça ira mieux », à l’agressivité ; « c’est la faute des autres (du monde) ».
On peut monter des murailles, se barricader, se boucher les yeux, fermer les oreilles à la rumeur du monde, ou essayer de fabriquer des machines à remonter le temps.
Tout cela, nous l’avons fait, peu ou prou, vous comme nous.
Au cours de cette année, à cause de l’élan d’espérance qui est monté vers nous, nous avons fait une autre analyse, celle des ressources, et nous avons découvert que nous sommes riches, infiniment plus riches que nous ne le pensions, car nous sommes riches de nous. Nous, c’est-à-dire, vous, nous. Nous sommes des milliers de gens, hommes et femmes, religieux ou religieuses, diacres, prêtres, évêques ou laïcs, qui partout dans l’Église de France avons donné notre foi au Christ et sommes prêts à rendre compte de l’espérance qui nous fait vivre, sommes prêts à rendre compte de la grâce de notre baptême.
Tel est le trésor, le roc, sur lequel nous voulons bâtir.
C’est un vaste gisement que celui-là, et presque inexploité parce que des mentalités et des structures, autrefois opératoires, sont aujourd’hui paralysantes. Oh, certes, il y a beaucoup de laïcs qui « font des choses », mais ils bouchent les trous, colmatent les brèches, et, vous le savez bien, ils « râlent ». Pourquoi ? Nous croyons que trop souvent, les uns et les autres, dans les missions qui leur sont confiées, ne sont pas réellement associés aux responsabilités afférentes. Parfois parce qu’on ne les leur donne pas, parfois parce qu’ils ne se sentent pas autorisés à les saisir.
La Conférence des Baptisé-e-s de France nous semble être le moyen d’ouvrir un lieu qui nous associe tous au nom de notre responsabilité baptismale.
La meilleure objection que nous avons entendue à cette création c’est que cette Conférence n’a pas de raison d’être puisqu’elle existe déjà et qu’elle est tout simplement l’Église de France… Certes, mais l’Église de France n’a pas de lieu où tous peuvent débattre, s’écouter, se soutenir.
Relisons le Décret sur l’apostolat des laïcs du Concile Vatican II, § 26 : « Autant que possible, il y aura dans les diocèses des conseils qui apportent leur concours pour le travail apostolique de l’Église, soit dans le domaine de l’évangélisation et de la sanctification […] Des conseils de ce genre doivent exister aussi, autant que possible (….) au plan national. »
Il n’y a aucun désir de « révolution » dans notre action. Nous nous situons fermement en Église et à son service, dans la perspective spécifique de la vocation baptismale qui est d’abord une vocation missionnaire. En cela, nous répondons à l’appel de Jean-Paul II dans son exhortation apostolique Christifideles laici. Soucieux de rappeler la place particulière des laïcs, le pape Jean-Paul II distinguait nettement leur « participation à l’Église communion » (chapitre II) de leur « co-responsabilité dans l’Église mission » (chapitre III).
Alors, cette Conférence des Baptisé-e-s de France, quelle sera-t-elle ?
Elle sera ce que nous en ferons. Cependant, l’acte initial de création a retenu trois grands fondements et trois premières missions.
Les fondements
A. Un attachement indéfectible aux Écritures et à la Tradition catholique.
Ceci n’est pas sujet à discussion puisque c’est l’essence même de notre attachement à l’Église catholique.
B. Un attachement indéfectible au Concile de Vatican II dans sa lettre et son esprit
Ceci n’est pas non plus sujet à discussion, puisque le dernier concile s’inscrit de façon plénière à la fois dans la Tradition catholique et dans la réalité de la vie de l’Église depuis presque quarante-cinq ans.
C. La parité entre les femmes et les hommes dans la C.B.F.
Ce fondement-là peut sembler plus étonnant. Pourtant, c’est très précisément au nom de notre baptême que nous l’invoquons. On souligne trop rarement que le baptême chrétien, à la différence des rites d’accueil des autres monothéismes, et même des autres religions n’introduit rigoureusement aucune distinction entre les petites filles et les petits garçons. Le baptême, dans un geste prophétique et eschatologique, accomplit ce qui sera.
Égalité n’est pas parité, diront certains. Allons, bien sûr que si ! La parité (sans intégrisme) est la condition de l’égalité.
D’ailleurs, que faudrait-il craindre de la parité dans la C.B.F. ? Rien, sinon de mettre en pleine lumière ce qui appartient au code génétique du christianisme et ceci, bien sûr, dès l’origine. Oui, cette parité qui appartient à notre tradition la plus antique fera paradoxalement apparaître notre Église, par le moyen de la C.B.F., comme « ultramoderne ». Aussi, nous recevons comme une grâce cette règle, qui s’enracine dans l’une des dispositions sacramentelles les plus anciennes de notre Église.
Et, pour conserver un peu d’humour, observons que cette parité protégera d’abord… les « hommes » de sexe masculin, en nombre bien
moindre que les « hommes » de sexe féminin dans l’Église.
La question des moyens…
… est celle qui va requérir beaucoup de soins, d’imagination, de forces aussi.
Nous souhaitons réunir des assises générales, dès que la chose sera possible.
Ce ne sont pas les quelque quatre cents personnes, cinq à six cent peut-être,avec celles des villes de province, qui ont marché ou se sont rassemblées le même jour qui peuvent prétendre constituer cette Conférence. Elles ne sauraient en être que les instigatrices, les chevilles ouvrières, afin que la maison dont nous posons les fondations devienne une maison pleine et vivante où chacun trouve sa place. Beaucoup, depuis le 11 octobre, nous ont rejoints. Plusieurs centaines de mails chaque jour… Précieux vivier de forces avec lequel nous constituerons ces assises générales, dans le respect des choix ultérieurs du plus grand nombre. C’est pourquoi nous allons créer dans un premier temps une association de soutien à la création de la C.B.F. (Conférence des Baptisé-e-s de France), association loi 1901, et dans un deuxième temps sera créée une association canonique pour la vie de la CBF en Église.
Sur les schémas de structure possibles de cette future Conférence, il conviendra de s’entourer d’avis, d’examiner les expériences étrangères
apparentées, et d’exploiter au maximum les ressources d’internet, afin que le niveau de consultation et la participation effective soient les plus larges possible.
Les missions
A. La première est le ministère de l’Écoute, disposition du cœur essentielle depuis toujours, pour le judaïsme comme pour le christianisme : « Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu. » Cette écoute qui entoure et permet la révélation de l’amour de Dieu doit pouvoir s’exercer au sein de notre Église comme au sein de la société. Il serait significatif qu’un lieu – la Conférence – lui soit, par vocation, dévolu. Ad intra, nous voulons recueillir et faire circuler la parole des baptisés afin de la structurer en opinion publique cohérente et responsable, ce qu’en aucun cas une consultation par sondage ne peut produire. Ad extra, le besoin d’écoute existe aussi, de façon cruciale. Qui, aujourd’hui, n’a besoin d’être écouté ? Souffrances, joies, aspirations profondes des hommes et des femmes sont, hier comme aujourd’hui, le terreau de l’annonce de l’Évangile. Jésus ne faisait pas seulement le catéchisme. Souvent, il interrogeait : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? ».
B. Le second ministère est celui de la bénédiction. Si Dieu est amour, si l’extraordinaire bénédiction du monde qui ouvre la Bible a un sens, elle engage à un type de discours sur le monde et sur l’humanité qui en fasse ressortir la bonté, la beauté, la grandeur. C’est au sein de ce jugement attendri de Dieu sur son œuvre que peut, s’il y a lieu, se déceler la part des manquements et des errances. Nous voulons donc éclairer, autant au sein de notre Église que nous chérissons que dans notre environnement social, les actes d’amour, de générosité, de compassion, de pardon et de partage. Nous voulons reconnaître Dieu à l’œuvre auprès de l’humanité, et le louer : il n’est qu’à voir le si riche rituel des Bénédictions promulgué après le Concile Vatican II.
C. L’Espérance, enfin, se fraie difficilement une place aujourd’hui,
autant dans l’Église que dans la société. L’une comme l’autre croient-elles encore à leur avenir ? Si Dieu est l’alpha et l’oméga, il est toujours devant nous. Il y a à dire et à redire que
l’homme aspire à rencontrer Dieu et que Dieu lui offre la vie en abondance. Elle est impérieuse cette annonce de la sollicitude de Dieu envers chacun et chacune ! Nous voulons annoncer que
toute existence humaine a un sens et que Dieu se soucie de chacun et donne un sens au destin de l’humanité.
Partageons, enfin, quelques intuitions
En premier lieu, nous faisons le pari que les critiques lourdes dont l’Église est aujourd’hui l’objet sont pour une part le tribut payé à la passivité dans laquelle sont tenus beaucoup des baptisés. Que ceux-ci deviennent acteurs et « comme par magie » les critiques qui pèsent sur l’institution diminueront. Être acteur renforce la solidarité et désarme la critique. Quand réellement, l’Église, c’est nous, nous tous, et non plus un « ils ! », « vous ! » chargés de tous les maux, alors l’énergie, auparavant mobilisée dans la critique, devient une force d’édification.
Il ne suffit pas de brandir le canon 208 sur l’égale dignité des baptisés. Il faut aussi offrir aux laïcs des lieux de dignité. Ainsi, chacun accomplissant sa vocation propre fait grandir le Corps du Christ en vue du bien de tous.
Ensuite, il nous paraît que, dans la situation de souffrance actuelle, souffrance partagée par tous, notre position de laïcs, très engagés certes, mais « un peu à côté », nous met dans une situation « privilégiée » pour amorcer un mouvement. Nous ne souffrons pas comme vous parce que si nous sommes du Christ, comme vous, l’Église n’est pas notre seule maison. Nous ne sommes pas pris comme vous dans les contraintes institutionnelles. Mais sans doute, plus que vous, nous voyons tous ceux et celles qui sont partis et qui nous manquent à tous.
Alors, nous voici ! Nous avons le cœur plein d’espérance, nous pensons que c’est le moment. Nous voyons chaque jour des gens se lever et espérer avec nous. Ils n’attendent pas que d’autres qu’eux fassent bouger les choses. Ils se lèvent pour le faire. Ils nous le disent sans répit ; leur passion, c’est que l’Évangile soit annoncé. Nous ne vous demandons presque rien… mais un peu plus que le bénéfice du doute… un peu plus que la jurisprudence Gamaliel : « si leur œuvre vient des hommes, elle se détruira d’elle-même ; mais si vraiment elle vient de Dieu, vous n’arriverez pas à les détruire ». Nous vous demandons votre bienveillance, au fond, votre bénédiction. Ne tuez pas dans l’œuf ce qui demande à grandir ; elles sont tendres et fragiles les œuvres qui commencent, elles ont besoin des autres, elles ont besoin de vous.
Cette fois, Messeigneurs et chers Pères, nous attendons de votre part réponses et commentaires, encouragements, correction (fraternelle), et bénédiction. Pour tout dire, nous espérons même que beaucoup parmi vous discerneront dans cette initiative un signe positif, un signe de vitalité, comme une hirondelle, qui si elle ne fait pas le printemps, cependant l’annonce. Nous sommes prêtes à rencontrer chacun à tout moment que vous jugerez opportun et, dans l’attente de ces rencontres, nous vous assurons de notre très fidèle respect dans le Christ.
Lettre ouverte et adressée à chacun des évêques par Anne Soupa et Christine Pedotti
contact.cbf@gmail.com
le 29 octobre 2009