Les « révolutions » de la Pentecôte
L’événement de la Pentecôte, que nous célébrions dimanche dernier, me paraît décisif pour écarter trois tentations religieuses : l’identification à un maître, la confusion de la religion avec une identité nationale ou raciale, l’aliénation à un Dieu transcendant perdu dans un autre monde.
Au cours de sa courte vie le Christ a cherché à éveiller l’homme enfermé dans sa justice, sa loi, sa tradition, sa nation, ses appartenances. Cet éveil a suscité, dans un premier temps, une fascination pour celui qui en est le messager.
Loin de vouloir l’exploiter à son avantage, le Christ n’a cessé de casser cet enchantement pour renvoyer chacun à son itinéraire. À ses disciples paniqués par l’annonce de sa mort, le Passeur de Pâques affirme : « C’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, l’Esprit ne viendra pas en vous ; si au contraire je pars, je vous l’enverrai » 1. Cette liaison entre l’effacement du messager de la « bonne nouvelle » et la venue de l’Esprit constitue le fondement de toute relation éducative et spirituelle. Le surgissement de l’Esprit dans les flammes de la Pentecôte ne peut se faire qu’après la déception surmontée de ceux qui pensaient que la proximité avec le Maître les dispenserait du risque de la liberté de l’Esprit.
La deuxième libération de la Pentecôte délivre de la liaison mortelle du religieux et du national, liaison plus que jamais génératrice de corruption et de crimes.
À des disciples qui, à la veille de l’Ascension, attendaient toujours la concrétisation de leur plan de carrière 2, les derniers mots du Christ seront de les inviter à « recevoir une puissance, celle de l’Esprit qui viendra sur vous » pour témoigner « jusqu’aux extrémités de la terre » 3.
L’événement de la Pentecôte se manifeste dans la capacité de tout être humain d’accueillir l’Esprit. La confiscation de l’Esprit par une caste nationaliste ou sacerdotale est abolie : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos filles seront prophètes » 4.
De là découle la troisième « révolution » de la Pentecôte. Cette libération de l’être humain par la force de l’Esprit ne s’accomplit pas dans quelque odyssée solitaire et gnostique. Dans le texte des Actes des apôtres, le premier signe concret donné après l’événement de la Pentecôte, c’est le partage : « Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous, selon les besoins de chacun » 5. Si tout être humain est porteur de l’Esprit, il est donc porteur de sens pour l’ensemble de l’humanité. Désormais, aucun ordre humain ne sera acceptable qui ne fasse place à tous, et notamment aux plus démunis et aux plus exclus.
Aux disciples, le nez pointé vers le ciel pour tenter de combler le vide créé par la disparition de leur maître, il est dit : « Gens de Galilée, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » 6. Et l’épître de Jean enfoncera le clou : « Dieu, nul ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous » 7.
Le souffle de la Pentecôte balaye nos peurs, nos compromis boiteux, nos fuites dans de pseudo transcendances, l’enfermement dans nos échecs pour nous inviter, dans la liberté de l’Esprit, à la fraternité entre les hommes.
Bernard Ginisty
1 – Évangile de Jean,
16, 7-8
2 – « Est-ce maintenant que tu vas rétablir le Royaume pour Israël ? »
(Actes des Apôtres 1,6)
3 – Id.
1,
8
4 – Id. 2, 17-18
5 – Id. 2, 45
6 – Id. 1, 11
7 – 1e
Épître de Jean 4,12