Les nouveaux défis de l’éducation
La question de l’apprentissage des savoirs et plus généralement de l’éducation constitue un des fondements d'une société démocratique. Dans l’histoire du combat ouvrier du XIXe siècle et de la création des Bourses du travail, on a surtout retenu l'aspect lutte sociale. Mais il y avait aussi un souci très important de formation des travailleurs car on n’est citoyen que si l’on apprend. C'est une France alphabétisée et conscientisée qui a pu construire la République. Est apparu ensuite le thème de la “deuxième chance ” pour tous ceux que le système scolaire avait laissés au bord de la route. Au cours des années 1930, puis à la Libération, s’est développé le grand mouvement de l’éducation populaire qui a formé toute une génération d’hommes politiques. En 1971, la loi sur “la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente ” prenait acte de ce que la formation n’était pas seulement un préalable à la vie professionnelle mais une dimension permanente de la vie.
Aujourd’hui, nous vivons une crise grave du rapport entre les savoirs, l’action et les projets de vie. L’utopie scientiste avait cru parvenir à la pacification des sujets dans la société par le ralliement de tous à des savoirs communs. Mais les crises à répétition du système éducatif nous confrontent à la nécessité de repenser radicalement le rapport aux apprentissages. Ce qui est en cause, c’est la capacité des êtres humains non plus seulement à s’adapter à de nouvelles technologies mais à faire face dans leur vie personnelle, professionnelle, citoyenne à des écroulements de ce qui était tenu pour évidence et donnait sens aux savoirs. La violence croissante dans les collèges et lycées comme l’atonie de certains stages parkings pour chômeurs témoignent de l’urgence de cette question.
Le 1er mars dernier, Michel Serres prononçait à l’Institut un discours particulièrement pertinent sur les « nouveaux défis de l'éducation » 1. À ses yeux, faute d’analyser les mutations radicales que connaissent nos sociétés, des réformes du système éducatif se succèdent sans grand effet. « Enseignant pendant quarante ans sous à peu près toutes les latitudes du monde, j’ai subi, j’ai souffert ces réformes-là comme des emplâtres sur des jambes de bois, des rapetassages ; or les emplâtres endommagent le tibia comme les rapetassages déchirent encore plus le tissu qu’ils cherchent à consolider ». Pour lui, cette incapacité de prendre en compte les ruptures dans le rapport au savoir tient à ce que les principaux responsables de ces réformes habitent des institutions qui, selon Michel Serres, « luisent d’un éclat qui ressemble à celui des constellations dont l’astrophysique nous apprit jadis qu’elles étaient mortes déjà depuis longtemps ».
Nous pensions que le chemin vers le réel résulte d'une accumulation de dispositifs et de savoirs, alors qu'il s'agit d'une succession de crises. Ce qui se joue c'est la capacité d'être sujet et d'être acteur dans une société où il y a de plus en plus d'évolutions difficiles. Or, comme le remarque avec lucidité Michel Serres, les jeunes d’aujourd’hui « sont formatés par les médias, diffusés par des adultes qui ont méticuleusement détruit leur faculté d’attention en réduisant la durée des images à sept secondes et le temps des réponses aux questions à quinze secondes, chiffres officiels. (…) Nous, adultes, avons doublé notre société du spectacle d’une société pédagogique dont la concurrence écrasante, vaniteusement inculte, éclipse l’école et l’université ».
La démocratie et la spiritualité ne se renouvelleront que si nous retrouvons nos capacités d’attention au réel et à ce que l’Évangile appelle « les signes du temps ».
Bernard Ginisty
1 – Je remercie Henri Pérouze de m’avoir communiqué ce texte de Michel Serres qui a inspiré cette chronique. Vous le trouverez en lien ICI, car il me semble très éclairant par rapport à la crise de l’éducation.