Les neuf priorités de François pour l'Église
Depuis sept mois, le pape n’a cessé de dessiner les contours d’une révolution dans la façon d’exercer le pouvoir, qui touche en particulier les prêtres et les évêques. Mais la réforme en vue ne vise pas que la curie. Elle va se déployer tous azimuts, de la base au sommet.
1. En finir avec le cléricalisme
Cardinal-archevêque de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio ne cachait déjà pas sa détestation du cléricalisme, fustigeant les abus de pouvoir des prêtres, soit par ingérence dans la liberté des personnes, soit par excès d’autoritarisme. Depuis sept mois, à plusieurs reprises, le pape a vitupéré les prêtres et leur tendance à gérer l’accès aux sacrements avec une « mentalité de douaniers » et les appelle à « prendre l’odeur de leurs brebis ». Dans son interview-fleuve aux revues culturelles jésuites et rendue publique le 19 septembre dernier, le pape est clair : « Les réformes structurelles ou organisationnelles sont secondaires. La première réforme doit être celle de la manière d’être. Les ministres de l’Évangile doivent être des personnes capables de réchauffer le cœur des personnes, de dialoguer et cheminer avec elles, de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. »
2. Sortir sur la frontière
La sacristie, c’est fini. Le pape veut une révolution culturelle qui touche tout le monde, celle d’une Église missionnaire, tournée vers les périphéries existentielles, et non plus « autoréférentielle ». La priorité est donc le « dialogue avec la frontière ». Le pape fustige la complaisance des curés à brosser la brebis toute propre au lieu d’aller chercher la brebis galeuse… Pour François, l’urgence est « d’être une Église qui trouve de nouvelles routes, qui est capable de sortir d’elle-même et d’aller vers celui qui ne la fréquente pas, qui s’en est allé ou qui est indifférent. Cette Église est la maison de tous, pas une petite chapelle qui peut contenir seulement un petit groupe de personnes choisies ».
L’anticléricalisme du pape n’est donc pas la négation du sacerdoce ministériel, mais sa conversion : « La chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. » François appelle à aller vers ceux qui se sentent rejetés et refuse la focalisation sur les questions liées aux mœurs ou à la sexualité.
3. Renoncer à la rigidité passéiste
« Celui qui aujourd’hui ne cherche que des solutions disciplinaires, qui tend de manière exagérée à la “sûreté” doctrinale, qui cherche obstinément à récupérer le passé perdu, celui-là a une vision statique et non évolutive. » Le pape ajoute : « Il y a des normes et des préceptes secondaires de l’Église qui ont été efficaces en leur temps, mais qui aujourd’hui ont perdu leur valeur ou leur signification. Il est erroné de voir la doctrine de l’Église comme un monolithe qu’il faudrait défendre sans nuance. » Dans sa lettre à Eugenio Scalfari, le pape a aussi défendu l’idée que chacun avait sa propre conception de la vérité et qu’il devait suivre sa conscience. En plus de cette posture qui peut passer pour relativiste, François semble aller dans le sens inverse de Benoît XVI : il qualifie la messe ancienne de « vieux rite » (et non plus de forme extraordinaire), réhabilite la théologie de la libération, choisit ses collaborateurs dans l’aile progressiste ou sociale et n’hésite pas à écarter ceux qui sont plus « conservateurs ». Du coup, aux yeux de certains catholiques, le pape cliverait ses troupes. « Du point de vue français, on pourrait le voir comme cela. La problématique hexagonale – des jeunes prêtres et laïcs plus traditionnels que leurs aînés – lui échappe, comme à tous les Sud-Américains que je connais… » explique un prélat français au Vatican. Mais en même temps, François a plusieurs fois appelé les catholiques à vivre à contre-courant et a fustigé « l’esprit du monde ». Ce qui devrait rassurer ceux qui craignent un ralliement du pape au relativisme ambiant.
4. Révolutionner la gouvernance
Lors du conclave, la réforme de la curie romaine est apparue comme la priorité des priorités, et les cardinaux ont élu Bergoglio sur sa capacité à faire le boulot. Très vite après son élection, François a constitué un groupe de travail de huit cardinaux venus du monde entier – dont un seul Italien – pour revoir la constitution Pastor bonus, qui régit la curie. Mais à la veille de leur première réunion, du 1er au 3 octobre, le pape a décidé d’étendre les compétences de ce G8 et d’en faire son conseil de cardinaux, de façon pérenne. Ces conseillers seront compétents au-delà des questions de réforme de la curie, mais ne décideront pas eux-mêmes, le pape restant seul décisionnaire. En fait, Pastor bonus ne devrait pas être toilettée, mais bien totalement refondue, selon le porte-parole du Vatican, le père Lombardi.
À Rome, l’heure est aux rumeurs, dans l’attente de décisions concrètes. La secrétairerie d’État, qui avait tout verrouillé sous Benoît XVI, se verrait recentrée sur sa mission diplomatique. On parle aussi de la création d’un modérateur de la curie, dont le rôle serait d’assumer une coordination générale. « L’important est moins de refondre la structure que de se débarrasser de certains incompétents », explique tranquillement un proche du pape. François a commencé à couper des têtes, comme celle du patron de la Congrégation pour le clergé, le très conservateur cardinal Piacenza, très officiellement placardisé.
La réforme de la curie n’est pas que structurelle, car le pape veut véritablement insuffler un nouvel esprit, comme en témoigne ce passage remarqué de son interview aux revues jésuites : « C’est impressionnant de voir les dénonciations pour manque d’orthodoxie qui arrivent à Rome ! Je crois que ces cas doivent être étudiés par les conférences épiscopales locales, auxquelles Rome peut fournir une aide pertinente. De fait, ces cas se traitent mieux sur place. Les dicastères romains sont des médiateurs et non des intermédiaires ou des gestionnaires. »
5. Réinstaurer la collégialité
Le partage du pouvoir est l’autre grande attente de la base. « Je crois que la consultation est essentielle. Les consistoires, les synodes sont, par exemple, des lieux importants pour rendre vraie et active cette consultation. Il est cependant nécessaire de les rendre moins rigides dans la forme. Je veux des consultations réelles, pas formelles. » La priorité du pape est de revitaliser le synode des évêques, une structure qui fonctionnait jusque-là de manière intermittente et de façon un brin soviétique, pour lui donner un leadership nouveau. Pour autant, le pape est connu pour sa façon autoritaire de gouverner.« En bon jésuite, il consulte beaucoup, mais décide seul. Il peut être très dur. C’est ce qu’il faut pour réformer la curie », explique un observateur.
6. Reconnaître les laïcs
La dynamique actuelle devrait impliquer davantage les non-clercs. En juillet, le pape a créé une commission chargée d’un audit administratif et financier, composée majoritairement de laïcs. Le G8 des cardinaux planche sur la question d’une meilleure reconnaissance des laïcs. Le conseil pontifical pour les laïcs serait promu en « congrégation » romaine, comme il y en a pour les prêtres et les évêques.
7. Parler en direct au peuple
« La prophétie fait du bruit, on pourrait dire qu’elle sème la pagaille. » Cet aveu du pape permet d’éclairer son art contre-clérical de court-circuiter les médiations ecclésiales. Coups de fil aux hommes qui font l’opinion ou aux gens de peu qui lui ont écrit pour dire leur misère, interviews chocs, petites phrases qui fuitent… Le pape a gagné ainsi une extraordinaire popularité dans les médias profanes pour sa liberté de ton. Des observateurs expliquent que François veut s’assurer une bienveillance maximale auprès du peuple italien et des médias laïcards avant de pouvoir passer à une nouvelle phase du pontificat : la neutralisation des mafias internes au Vatican qui sont prêtes à faire sauter le système par la révélation de scandales jusqu’ici bridés par le chantage. La ferveur populaire envers le pape serait donc garante d’une vraie réforme, car les médias raffoleraient d’un scénario où François serait menacé par la pègre en soutane.
8. Repenser la fonction pontificale
C’est la pointe de l’anticléricalisme papal : depuis le soir même de son élection, François insiste sur sa qualité d’évêque de Rome. Il a réduit au minimum ses atours pontificaux : chaussures noires, valise de curé, croix pectorale, voiture banalisée. Ses gestes crédibilisent son discours sur la pauvreté de l’Église et tendent à réformer l’ensemble du système « prêtre-évêque-pape » vers le dépouillement. Sa volonté de réformer le synode romain « pourra aussi avoir une valeur œcuménique ».
9. Dénouer les nœuds
Dans le droit fil de son ambition d’une Église miséricordieuse, la pastorale des gens « hors des clous » est primordiale, comme celle des homosexuels ou des couples non mariés et des divorcés remariés. Ce dernier dossier, que le pape veut traiter dans le cadre du chantier plus vaste de la pastorale familiale, a été mis au menu du G8 des cardinaux.
Signe de l’urgence, le pape convoque un synode extraordinaire des évêques à Rome, du 5 au 19 octobre 2014, axé sur la question de la famille, afin de dénouer les situations bloquées.
Jean Mercier
pour LaVie.fr sous le titre Les neuf priorités du pape François pour la réforme de l'Église