Les évêques de France ont la fibre politique

Publié le par G&S

La force des interventions épiscopales, cet été, autour de l’immigration, est révélatrice des nouvelles relations qui se sont instaurées depuis quelques années entre les responsables de l’Église et les élus politiques

La semaine prochaine, Mgr Emmanuel Delmas, évêque d’Angers, rencontre les parlementaires de son diocèse. Au menu, la révision des lois de bioéthique. La semaine dernière, c’était celui de Bayonne, Mgr Marc Aillet, qui animait une réunion avec des élus et des agriculteurs, sur le monde rural. Le 8 septembre, le cardinal Philippe Barbarin rassemblait une soixantaine d’élus autour de l’engagement en politique. Au Mans, Mgr Yves Le Saux a réuni les élus autour de la gestion des lieux de culte, et devrait renouveler l’expérience pour parler de la jeunesse…

Le virus politique aurait-il contaminé les évêques ? Cet été, l’opinion française s’était étonnée de la force des prises de position de l’ensemble de l’épiscopat contre les expulsions de Roms. À voir les relations tissées un peu partout en France entre les évêques et leurs élus, il semble que cet événement estival reflétait plus profondément une nouvelle attitude, plus décomplexée, vis-à-vis des hommes politiques. D’ailleurs, avec des sujets comme le dimanche ou l’écologie, la politique sera aussi en arrière-plan de l’Assemblée plénière qui s’ouvre jeudi 4 novembre à Lourdes.

Bon observateur de ces relations, le P. Matthieu Rougé, directeur du Service pastoral d’études politiques (Spep) qui, à Paris, assure une présence auprès des parlementaires, y voit une « conscience nouvelle » : « Après s’être concentrée sur le renouveau spirituel, toute une génération d’évêques redécouvre la nécessité d’une présence dans le domaine économique et social. »

 

Cléricalisation de la présence chrétienne en politique ?

D’où l’apparition, dans un certain nombre de diocèses, de structures à cet effet : à Meaux, l’évêque vient de nommer un prêtre pour s’occuper de ce travail. À Angers, une structure a été créée, de même qu’à Bayonne. Au Havre, Mgr Michel Guyard anime un groupe d’élus, et à Lyon, le cardinal Philippe Barbarin a chargé le P. Éric de Nattes, il y a six mois, d’assurer une présence d’Église auprès des élus de la région.

Les contacts entre les responsables d’Église et les élus, qu’ils soient locaux ou nationaux, ne datent pas d’hier. Le souci de les structurer et de donner à la parole d’Église une certaine visibilité semble plus nouveau en revanche.

A priori cependant, la politique ne relève pas des évêques mais, comme le précise le Catéchisme de l’Église catholique, d’abord des laïcs. Dès lors, cette évolution ne masque-t-elle pas une cléricalisation de la présence chrétienne en politique ? Le risque étant, avec l’affaiblissement des mouvements d’action catholique, d’oublier que de nombreux chrétiens sont, à différents niveaux, engagés dans la politique…

 

Les évêques français ont intégré qu’ils ne peuvent imposer une vision

En réalité, c’est sans doute une question de méthode. À Angers par exemple, Mgr Delmas, reprenant l’intuition de son prédécesseur, a nommé un laïc « délégué épiscopal au service Société et cultures », Pierre Collignon. Ce dernier coordonne un groupe de syndicalistes, chefs d’entreprise, responsables, chargé d’élaborer pour l’évêque une réflexion autour des sujets de société.

C’est la « méthode d’Ornellas », du nom de l’archevêque de Rennes, qui a mené le travail des évêques autour des lois de bioéthique : réunir, en amont, des chrétiens concernés par le problème et porter ensuite cette réflexion au plan institutionnel. Arrivant avec un dossier étayé par une réflexion, les évêques se posent ainsi en interlocuteurs pour une discussion et non dans une logique de combat frontal. « De toute façon, dans la laïcité française, on n’a pas le choix » approuve le P. de Nattes à Lyon : « L’Église ne peut dicter ses vues, ça ne marche pas. »

Le sondage publié le 27 août dans La Croix, montrant que la moitié des Français comprenaient mal l’intervention des évêques autour de l’immigration, en a donné la preuve. Contrairement à leurs homologues italiens ou espagnols, qui s’opposent dès qu’ils estiment que l’on porte atteinte à des « valeurs non négociables », les évêques français ont intégré qu’ils ne peuvent imposer une vision. « La laïcité contraint l’Église à reformuler ses convictions pour présenter une réponse rationnelle », note le P. Rougé.

 

Désaffection des évêques pour le traditionnel communiqué

D’où une certaine désaffection des évêques pour le traditionnel communiqué, souvent péremptoire, publié dans la presse, et parfois contre-productif. « Mgr Guyard, au Havre, préfère aller directement voir l’élu, s’il a quelque chose à dire », note ainsi son vicaire général, le P. Marcel Maurin.

Mgr Marc Aillet, arrivant dans son diocèse, a commencé à interpeller dans un communiqué le maire de la ville de Dax à propos d’une gay pride. « Il s’en est suivi des échanges épistolaires un peu tendus, qui l’ont amené à préciser ce qu’il entendait par la manière, pour l’Église, d’exprimer ses convictions », raconte Olivier Drapé, responsable de la communication du diocèse.

Du coup, l’évêque de Bayonne a créé deux structures. D’une part, une Académie diocésaine pour la vie. Regroupant des professionnels et spécialistes de la santé et de l’éthique, elle prépare par exemple un argumentaire autour des prochaines révisions de la loi de bioéthique ; d’autre part, un observatoire sociopolitique, pour faire connaître les positions de l’Église dans les domaines économiques et sociaux.

 

« Les politiques chrétiens osent afficher leurs convictions »

C’est que, paradoxalement dans une société qui se sécularise à grande vitesse, les élus sont preneurs. À Paris, le service pastoral rencontre un certain succès lorsqu’il organise pour eux des réunions sur des thèmes aussi divers que le développement ou la fin de vie.

C’est dans cet espace-là que se glisse aussi un besoin de soutien spirituel pour les élus chrétiens. Là encore, changement de ton. « Autrefois discrets, les politiques chrétiens osent afficher leurs convictions », note le P. de Nattes, qui anime un groupe d’élus de gauche et de droite dans le Rhône.

S’affirme de leur part une recherche pour mieux concilier foi et engagement, comme le montre l’organisation depuis deux ans, pour des élus chrétiens, d’un pèlerinage à Lourdes. Le prochain aura lieu du 7 au 10 avril 2011, avec la participation du cardinal André Vingt-Trois.

Isabelle de Gaulmyn
sur le site la-croix.com

Publié dans Signes des temps

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