Les catastrophes catalysent les consciences
La tragédie que vit le peuple haïtien remet en question ce qui constitue le fondement de notre humanité. La catastrophe est tellement insoutenable que l’on cherche d’abord des responsables. Est-ce Dieu qui veut punir les hommes ? Est-ce le grand Satan américain qui est responsable, comme le dit Hugo Chavez, président de la Bolivie ? Non seulement, toutes les structures d’un pays sont à terre, mais l’ampleur de la catastrophe atteint les institutions de la gouvernance et de la solidarité internationales.
Arrivé à Port-au-Prince pour prendre la tête de la représentation des Nations Unies, après la mort du tunisien Hédi Annabi lors de l'effondrement du siège de l'ONU, le diplomate guatémaltèque Edmond Mulet dresse un constat amer : « La Mission a perdu la plupart de ses dirigeants, morts dans le séisme. Nous sommes toujours à la recherche des survivants et des corps dans les décombres du siège effondré de Port-au-Prince. Chaque fois qu'on nous annonce qu'on a découvert le corps d'un ami, on pleure. J'ai ici des collègues qui ont perdu leur époux, leur compagne, et qui en dépit de cela viennent travailler tous les jours. Ici, dans notre base logistique de l'aéroport, on dort dans les bureaux, dans les jardins, sur les trottoirs. Nous reconstituons nos forces pour pouvoir servir les autres ». Ainsi, les sauveteurs sont aussi blessés que les populations locales. Par ailleurs, l’effondrement de toute la logistique d’un pays conduit à des crises de susceptibilités entre nations assistantes.
Mais tout cela ne devrait pas faire oublier la mobilisation populaire planétaire. Face à l'extrême, l'être humain retrouve les solidarités premières par-delà l'histoire, les conflits et les égoïsmes nationaux. Selon un sondage Sofres-Logica pour le quotidien Métro paru le 22 janvier, près d'un Français sur deux (47%) compte faire un don pour les victimes du séisme qui a dévasté Haïti.
Les catastrophes, qu’elles soient naturelles ou provoquées par l’homme, permettent des évolutions des consciences. Elles ignorent les classes sociales, les avantages acquis, les degrés d'instruction et mettent chacun en danger de mort. Au sortir de ces épreuves, l'homme semble guéri pour un moment de sa pulsion de mort et ouvert à une fraternité citoyenne. Ainsi, il a fallu l'horreur de la Shoah pour que les opinions publiques et les Églises reconnaissent leur compromission avec l’antisémitisme. Dans un autre domaine, les grandes avancées sociales dans notre pays se sont souvent produites après les carnages des grandes guerres. C'est dans le contexte de la prise en charge des millions de « gueules cassées », blessés la guerre de 1914-1918, que la législation sur le travailleur handicapé et les accidentés du travail a considérablement progressé. De même, c'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans le climat de la Libération, que fut inventée la Sécurité sociale reconnaissant à tous les citoyens un droit égal à la solidarité face à la maladie et la vieillesse.
Mais pourquoi ces prises de conscience et ces grands élans de générosité ne devraient se manifester que face à des drames exceptionnels ? Il est vrai que les médias véhiculent plus volontiers la mise en scène de grands événements que l'agonie quotidienne des victimes de l'injustice, de la famine, du désespoir et des guerres endémiques.
Seule la croissance de la conscience politique et spirituelle par delà les réactions émotionnelles permet des progrès durables dans l'égalité et la fraternité entre les hommes. N'attendons pas la prochaine catastrophe pour retrouver des élans de solidarité. Construisons-la chaque jour, non seulement dans le malheur et la mort, mais d’abord dans le quotidien de la vie politique et économique.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 23.01.10