Les Bâtisseuses de paix

Publié le par G&S

Les Bâtisseuses de paix sont nées d’une volonté de stopper le transfert du conflit du Moyen-Orient en France. Alors que s’accumulaient des agressions contre des personnes et des actes de vandalisme (porte de synagogues défoncées, mise à feu contre des édifices religieux et scolaires) principalement contre des cibles juives il semblait urgent d’agir en dehors des officines institutionnelles. Plus précisément il apparaissait nécessaire d’entamer un travail quotidien sur le terrain, c’est-à-dire de mettre en place des relations et des actions de proximité qui rapprochent des personnes qui selon les medias ne voulaient plus se parler.

À la même époque mon travail de journaliste-reporter m’a amenée d’une part à réaliser des enquêtes en Israël sur les associations de femmes israéliennes et palestiniennes qui tentaient d’ouvrir un dialogue, d’autre part à enquêter sur ce qu’on appelait en France l’Intifada des banlieues. Dans le premier cas il est apparu que seules les associations non politiques survivaient aux difficultés de la guerre. C’est-à-dire que les activités artistiques et sportives qui réunissaient les femmes et les enfants israéliens et palestiniens maintenaient leurs activités malgré les drames de la guerre pour les deux populations et cela y compris pendant les moments les plus difficiles où chacun comptait ses morts. Mais toutes les associations de femmes dont l’objet était de trouver une solution politique voyaient leurs activités se diluer dans l’absence des unes ou des autres selon les drames qui les touchaient.

 

En France lors d’un reportage à Créteil j’ai été stupéfaite des propos d’une jeune beurette de 30 ans à mon encontre : alors que j’avais décliné mon activité de reporter et lui avait demandé de m’accorder quelques instants, cette jeune femme m’a d’emblée demandé si j’étais juive ; je ne souhaitais pas répondre de façon à ne pas entrer éventuellement dans des questions hors champ professionnel. C’est alors qu’elle me dit : « De toute façon on va vous parler, parce qu’on le sent vous êtes comme nous. »

Devant ma stupéfaction elle m’explique : « Une autre journaliste on ne lui aurait pas parlé, mais vous vous allez nous comprendre parce qu’on a tellement de choses en commun. » 

En cours de conversation un très beau jeune homme est venu les rejoindre, grand brun, cheveux bouclés ; il m’apostrophe en hébreu. Oubliant mon rôle de journaliste, je lui réponds dans la même langue. Ses amies éclatent de rire, je suis piégée.

Le beau jeune homme a 27ans, il s’appelle Mohamed et il me raconte : « Je parle Hébreu couramment, je l’ai appris sur la plage à Nataniya »

Cette ville balnéaire est à 45 minutes de voiture de Jérusalem. Je pense automatiquement que Mohamed vient d’un camp palestinien, proche de cette ville. J’interroge : « Vous êtes palestiniens ? » Il rit : « Non je vis à Créteil. » Puis il m’explique : « Mon meilleur ami est Juif. Quand il a préparé sa Bar Mitswa il prenait des cours d’hébreu chez lui, j’y assistais, j’ai appris avec lui. Pour fêter sa Bar Mitswa ses parents sont partis à Netanya, c’est mon meilleur ami, ils ont proposé de m’emmener. Cet été-là ils ont acheté un appartement là-bas ; tous les étés ils me remmènent  avec eux. Ça fait 14 ans que je passe mes vacances en Israël. » 

À l’issue de cet interview je fus convaincue que les populations juives et musulmanes toutes les deux majoritairement issues, en France, des pays d’Afrique du Nord Française avaient beaucoup plus à partager que la violence. De mes reportages israéliens je tirais la leçon qu’il fallait sortir du contexte idéologico politique et le contourner. Je constatais aussi que les actes de violence étaient toujours le fait de la gent masculine, je ressentais de façon diffuse la nécessité d’une action de femmes envers les femmes mais qui rayonneraient sur tout le monde à commencer par les maris et les fils.

J’avais en tête les propos de Madame Warshawsky, la femme de l’ancien grand Rabbin de Strasbourg, installée à Jérusalem et chez qui j’ai toujours trouvé un accueil chaleureux, lors de mes différents reportages. Lors d’un accrochage au chekpoint (lieu de passage entre Israël et les territoires palestiniens) dû à une erreur de jeunes soldats israéliens, Mireille Warshawski, n’est pas contente, ni de son armée et de ses erreurs, ni des jeunes palestiniens et de leurs actes répréhensibles et elle explique très fermement : «  De toute façon des deux côtés on a des gamins (l’armée débute à 18 ans en Israël) qui n’ont plus le sens de ce qu’on peut et ne peut pas faire. Les décisions militaires sont absurdes. Maintenant il faut qu’une mère se déplace, baisse les pantalons de tout le monde des deux côtes, une bonne fessée à chacun et tout le monde rentre chez soi. « 

Ce qui à première lecture peut paraître naïf le devient beaucoup moins quand on s’appuie sur les ressorts de la psychanalyse dont les spécialistes affirment que c’est l’absence de limites posées par l’éducation dès la petite enfance que l’on retrouve dans la violence d’adulte.

Pour mettre un terme aux violences qui découlaient du transfert du conflit du Moyen-Orient dans les banlieues françaises il fallait donc s’adresser aux mères en tant que détentrices du pouvoir éducatif et les réunir sur des actions qui n’impliquaient pas un engagement idéologique partisan de leur part autre que celui d’accepter de vivre ensemble dans un respect mutuel, déconnecté du conflit moyen-oriental.

C’est à partir d’appels lancés sur les radios communautaires juives (radio-Shalom) et arabo-musulmanes (BEUR FM radio Orient) que des femmes ont commencé à se réunir. Puis l’interview d’un psychanalyste sur France-Info qui expliquait que lorsqu’une personne a été détruite, totalement détruite par des actes innommables dès sa petite enfance, le psychanalyste cherchera dans le passé de cette personne l’élément positif le plus petit qu’il fût pour l’aider à se reconstruire. Dans l’histoire racontée il s’agissait d’une petit fille violée par tous les hommes de la famille et qui avait pour seule consolation un petit chien au fond d’une cabane.

Les tensions entre communautés juives et musulmanes devenant de plus en plus ingérables il fallait d’urgence trouver ce point d’ancrage dans le passé qui leur permettrait de renouer un dialogue positif.

Un documentaire de 26 minutes tourné pour la télévision française en 1990, par Derri Berkani, qui relate le sauvetage de nombreux juifs et résistants par la Mosquée de Paris entre 1940 et 1944, m’a semblé pouvoir devenir ce souvenir positif chargé d’émotions fortes à partir duquel on pouvait reconstruire un avenir plus serein. Ce film permet de casser l’imaginaire créé à partir d’identités de substitution vécues à travers des reportages télévisuels souvent approximatifs et partisans. L’émergence de l‘existence que dans un temps pas si éloigné alors que sur le territoire français les Juifs étaient la proie autant du soldat allemand que du gendarme français, des hommes qui étaient musulmans, s’étaient engagés à sauver des vies pendant 4 années et ce malgré les rappels à l’ordre des autorités françaises, donne une image autre de l’ennemi supposé d’aujourd’hui, pour chacune des communautés.

Le Juif devient pour le musulman un être qu’on sauve et le musulman devient pour le Juif un « juste » qui l’a sauvé. À partir de ce passé ressuscité l’avenir d’un respect mutuel est possible.

Puis d’autres actions qui reposent toutes sur ce principe ont vu le jour : un atelier mensuel de pâtisserie orientale se déroule à Créteil, à l’initiative de Madame Lorie Boutboul qui a proposé de mettre son restaurant Les Jardins de la Méditerranée et toutes ses compétences personnelles de cuisinière, d’animatrice et sa gentillesse à notre disposition ainsi que les amandes, la farine et toutes les recettes… Un autre atelier ouvrira fin juin toujours grâce à Lorie à Paris le dimanche matin.

Des dîners-débats se déroulent à Paris environ 5 fois par an ; cette année nous avons reçu Benjamin Stora, Gérard Hadad, Alice Cherki et Nabile Fares pour nous parler de la coexistence judéo-musulmane en Algérie avant 1962, puis le premier secrétaire de l’ambassade de Turquie à Paris pour rappeler le sauvetage par la Turquie des Juifs turcs en France et d’autres que les diplomates turques ont rapatrié vers Istanbul, plusieurs milliers de personnes ont ainsi pu être sauvées.

Concernant le sauvetage des Juifs par la Mosquée de Paris nous avons entamé un travail de recherche d’archives afin d’obtenir une reconnaissance institutionnalisée par une plaque de souvenir. Dans la foulée de ces différentes actions nous souhaitons organiser un colloque qui fasse un état des lieux des actions méconnues ou mal connues.

Toujours dans un souci de connaissance et de respect de l’autre nous emmenons des familles participer aux ateliers de L’Institut du monde arabe et du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. Les familles passent deux dimanches ensemble afin aussi de renouer des liens.

Enfin un voyage reportage doit avoir lieu de Cordoue à New-York, accompagné par différents media pour faire redécouvrir l’harmonie judéo-musulmane de l’Andalousie de Maïmonide à la Madrid d’aujourd’hui, plate-forme des contacts israélo-palestiniens et aller au devant des campus américains exemples de coexistence.

Ce voyage sera réalisé par la présidente parisienne et la vice-présidente lyonnaise.

En effet, depuis novembre 2008 un groupe de Bâtisseuses de Paix s’est créé à Lyon, un est en attente à Toulouse et d’autres encore…

Annie-Paule Derczansky

Site Internet : http://batisseusesdepaix.org

N.B : il est possible de signer une pétition sur notre site pour obtenir la coopération des autorités algériennes pour rechercher les archives liées au sauvetage des juifs par la mosquée de Paris. 

Publié dans Signes des temps

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