Les 10 "commandements" du Pape François
À Rio, le pape François lève pour la première fois le voile sur sa conception de l'Église : donner plus de place aux femmes, adopter une « grammaire de la simplicité » pour l'Église, vraiment répondre aux « besoins des gens » sans les condamner.
Un Pape ne parle que de Dieu et de l'Église. François n'a pas échappé à la règle depuis son élection le 13 mars dernier, mais il n'avait pas encore eu l'occasion de donner sa vision d'ensemble de l'Église catholique. Il avait jusque là procédé par petites touches successives, souvent très acides pour le système ecclésial, mais sans prendre le temps d'expliquer les grands axes de sa conception de l'Église. Cela inquiétait beaucoup certains évêques et cardinaux car le pape donnait non seulement l'impression de ne pas savoir où il allait mais sa méthode d'action faisait penser à de l'à peu près.
Il n'en est rien. François sait où il va. Et comment y aller. Profitant des JMJ et de son voyage pastoral au Brésil, il a rencontré, samedi à Rio, les 300 évêques du premier pays catholique du monde en proie toutefois à une chute des vocations, à une désertion des fidèles au profit des Églises évangéliques en pleine expansion. Il leur a transmis à cette occasion le nouvel élan qu'il voudrait voir mis en œuvre. Sa «politique» en quelque sorte. Il l'a d'ailleurs prononcé en espagnol, sa langue maternelle, en s'excusant de le faire, mais parce qu'il tenait à être au plus près de sa pensée.
Un autre très long discours et aussi important, sur le même thème de l'Église est attendu, dimanche à midi. Il sera adressé cette fois à tous les évêques d'Amérique Latine (40 % de l'Église catholique du monde) que le pape doit rencontrer avant de quitter le Brésil pour Rome, dimanche en fin d'après-midi. Ces interventions complètent celle qu'il doit faire samedi soir lors de la veillée finale des jeunes et lors de la messe de clôture des JMJ, dimanche matin. Mais ces messages là n'ont pas l'importance ecclésiale de ceux, adressés aux évêques, qui resteront comme une étape clé de ce jeune pontificat.
L'humilité est l'ADN de Dieu
Premier axe : l'Église, selon François, doit adopter « la grammaire de la simplicité ». Pour le pape l'Église « ne peut pas s'éloigner de la simplicité» sans quoi « nous perdons ceux qui ne nous comprennent pas » en « exportant, de l'extérieur, une rationalité étrangère à nos gens ». Il ajoute « l'humilité est dans l'ADN de Dieu ». Et assure : « Dieu entre toujours dans les vêtements de la pauvreté ». Ou encore « Dans la maison des pauvres, Dieu se trouve toujours une place ».
Deuxième axe : la patience. Pour François, Dieu «arrive par surprise» dans les vies. Et souvent «quand il n'est pas attendu ». Il compare la quête de Dieu à une sorte de puzzle, une « mosaïque» avec des « morceaux de mystère » dont les hommes d'Église « voudraient voir trop rapidement le tout et Dieu au contraire se fait voir petit à petit ». Par conséquent, « l'Église aussi, doit apprendre cette attente ».
D'où, ce bel éloge de la lenteur : « La recherche de ce qui est toujours plus rapide attire l'homme d'aujourd'hui : Internet rapide, voitures rapides, avions rapides, rapports rapides… Et cependant on perçoit un besoin désespéré de calme, je veux dire de lenteur. L'Église sait-elle encore être lente : dans le temps, pour écouter ; dans la patience, pour recoudre et recomposer ? Ou bien aussi l'Église est-elle désormais emportée par la frénésie de l'efficacité ? Retrouvons le calme de savoir accorder le pas avec les possibilités des pèlerins, avec leurs rythmes de marche, la capacité d'être toujours plus proches, pour leur permettre d'ouvrir un passage dans le désenchantement qu'il y a dans leurs cœurs, de manière à pouvoir y entrer. »
Le chemin de Dieu est le charme
Troisième axe : retrouver la « chaleur » du « mystère » spirituel : ce Pape se plaint souvent de la froideur d'une Église devenue inaccessible et peu aimable. Il pense, au contraire que « Dieu demande d'être à l'abri dans la partie la plus chaude de nous-mêmes : le cœur. » Et souhaite, par conséquent une « Église qui fait de la place au mystère de Dieu, une Église qui héberge en elle-même ce mystère, de façon qu'elle puisse fasciner les gens, les attirer. Seule la beauté de Dieu peut attirer. Le chemin de Dieu est le charme, l'attrait. Dieu se fait emmener chez soi. Il réveille dans l'homme le désir de le garder dans sa vie, dans sa maison, dans son cœur. (…) La mission naît justement de cet attrait divin, de cet étonnement de la rencontre. (…) Sans la simplicité de cette attitude, notre mission est destinée à l'échec. »
Quatrième axe : Ne pas tout attendre des plans d'action pour l'Église : « Les filets de l'Église sont fragiles, peut-être raccommodés ; la barque de l'Église n'a pas la puissance des grands transatlantiques qui franchissent les océans. Et toutefois Dieu veut justement se manifester à travers nos moyens, de pauvres moyens, parce que c'est toujours lui qui agit. Chers frères, le résultat du travail pastoral ne s'appuie pas sur la richesse des ressources, mais sur la créativité de l'amour. La ténacité, l'effort, le travail, la programmation, l'organisation servent certainement, mais avant tout il faut savoir que la force de l'Église n'habite pas en elle-même, mais elle se cache dans les eaux profondes de Dieu, dans lesquelles elle est appelée à jeter ses filets ». Le Pape ajoute : « La bureaucratie centrale n'est pas suffisante, mais il faut faire grandir la collégialité et la solidarité ; ce sera une vraie richesse pour tous ».
L'Église « prisonnière de ses langages rigides »
Cinquième axe : Ne pas se décourager, ni « céder à la peur » : « Il ne faut pas céder au désenchantement, au découragement, aux lamentations. Nous avons beaucoup travaillé et, parfois, il nous semble être des vaincus, comme celui qui doit faire le bilan d'une période désormais perdue, regardant ceux qui nous laissent ou ne nous considèrent plus comme crédibles, importants. »
Sixième axe : Comprendre pourquoi les gens s'éloignent de l'Église : « Le mystère difficile de ceux qui quittent l'Église ; des personnes qui, après s'être laissées illusionner par d'autres propositions, retiennent que désormais l'Église ne peut plus offrir quelque chose de significatif et d'important. Et alors ils s'en vont par les chemins, seuls avec leur désillusion. Peut-être l'Église est-elle apparue trop faible, peut-être trop éloignée de leurs besoins, peut-être trop pauvre pour répondre à leurs inquiétudes, peut-être trop froide dans leurs contacts, peut-être trop autoréférentielle, peut-être prisonnière de ses langages rigides, peut-être le monde semble avoir fait de l'Église comme une survivance du passé, insuffisante pour les questions nouvelles ; peut-être l'Église avait-elle des réponses pour l'enfance de l'homme mais non pour son âge adulte ».
Par conséquent, « beaucoup ont cherché des faux-fuyants parce que la mesure de la Grande Église apparaît trop haute. Beaucoup ont pensé : l'idée de l'homme est trop grande pour moi, l'idéal de vie qu'elle propose est en dehors de mes possibilités, le but à atteindre est inaccessible, hors de ma portée ».
Former « des prêtres capables de réchauffer le cœur »
Septième axe : mettre en œuvre une réforme profonde de la pastorale de l'Église : « Aujourd'hui, il faut une Église en mesure de tenir compagnie, d'aller au-delà de la simple écoute ; une Église qui accompagne le chemin en se mettant en chemin avec les personnes, une Église capable de déchiffrer la nuit contenue dans la fuite de tant de frères et sœurs ; une Église qui se rend compte que les raisons pour lesquelles on s'est éloigné contiennent déjà en elles-mêmes aussi les raisons d'un possible retour. Mais il est nécessaire de savoir lire le tout avec courage. Je voudrais que nous nous demandions tous aujourd'hui : sommes-nous encore une Église capable de réchauffer le cœur ? (…) Sommes-nous encore en mesure de raconter nos sources de façon à réveiller l'enchantement pour leur beauté? Beaucoup sont partis parce qu'on leur a promis quelque chose de plus haut, quelque chose de plus fort, quelque chose de plus rapide. Mais y-a-t-il quelque chose de plus haut que l'amour révélé à Jérusalem ? Rien n'est plus haut que l'abaissement de la Croix, puisque là est vraiment atteint le sommet de l'amour ? »
Huitième axe : « avoir le courage d'une révision profonde des structures de formation » des prêtres : « si nous ne formons pas des ministres capables de réchauffer le cœur des gens, de marcher dans la nuit avec eux, de dialoguer avec leurs illusions et leurs désillusions, de recomposer ce qui a été détruit en eux, que pouvons-nous espérer pour la route présente et future? Il n'est pas vrai que Dieu soit obscurci en eux. Apprenons à regarder plus en profondeur : il manque celui qui réchauffe leur cœur, comme avec les disciples d'Emmaüs. Pour cette raison, il est important de promouvoir et de soigner une formation qualifiée qui fasse des personnes capables de descendre dans la nuit sans être envahies par l'obscurité ni se perdre ; d'écouter les illusions d'un grand nombre, sans se laisser séduire ; d'accueillir les désillusions, sans se désespérer ni tomber dans l'amertume ; de toucher ce qui a été détruit chez les autres, sans se laisser dissoudre ni décomposer dans sa propre identité. »
L'Église sans les femmes est « stérile »
Neuvième axe : lancer une véritable « conversion » culturelle de l'Église pour rendre l'Église accueillante : « À propos de la conversion pastorale je voudrais rappeler que pastoral n'est pas autre chose que l'exercice de la maternité de l'Église. Celle-ci engendre, allaite, fait grandir, corrige, alimente, conduit par la main… Il faut alors une Église capable de redécouvrir les entrailles maternelles de la miséricorde. Sans la miséricorde il est difficile aujourd'hui de s'introduire dans un monde de blessés qui ont besoin de compréhension, de pardon, d'amour. »
Dixième axe : donner une place aux femmes et à la famille dans l'Église : « Dans la mission, également continentale, il est très important de renforcer la famille, qui reste la cellule essentielle pour la société et pour l'Église ; les jeunes, qui sont le visage futur de l'Église ; les femmes, qui ont un rôle fondamental dans la transmission de la foi. Ne réduisons pas l'engagement des femmes dans l'Église, mais promouvons leur rôle actif dans la communauté ecclésiale. En perdant les femmes l'Église risque la stérilité. »
Jean-Marie Guénois,
sous le titre « Sommes-nous encore une Église capable de réchauffer le
cœur ? »
pour
lefigaro.fr