Le quattro volte
de Michelangelo Frammartino
Le cinéma italien est toujours vivant ! Voici pour ce début d’année un film admirable où se conjuguent l’attention à une vie simple et le regard d’un poète. Un film d’une grande intensité, bien que sans musique, et presque sans paroles : c’est l’évocation de la vie dans un village de Calabre, dans la montagne, tout au Sud de la péninsule italienne. L’auteur est lui-même originaire de cette région, avant de devenir architecte, puis cinéaste. On vit encore dans ce village au rythme éternel de la nature, proche des animaux et de la terre, selon un cycle immuable.
On accompagne d’abord un vieux berger et son troupeau de chèvres. Malade, il se soigne en versant dans un verre d’eau de la cendre bénite que lui fournit la sacristine. La procession du Vendredi Saint qui suivra représente bien elle aussi un christianisme ritualisé mêlé à un vieux fond de traditions naturalistes : « Le Christ s’est arrêté à Eboli », avait déjà écrit Carlo Levi.
Au moment même où meurt dans son lit le vieux berger, naît un jeune chevreau, dont on suit les premiers pas. Puis, en hiver, c’est l’érection du mât de cocagne, auquel tout le village s’associe ; on voit ce grand sapin dominer les toits de tuile du village, puis c’est la fête. Tout cela, apparemment très simple, est en réalité très composé, d’une noblesse et d’un humour constants : l’auteur a mis cinq ans à réaliser ce film, car comme il le dit, les chèvres ne se contrôlent pas aussi facilement que des danseurs ! On retiendra l’épisode, digne de Buster Keaton, où le chien de berger, en enlevant la cale d’un camion, libère le troupeau de chèvres qui s’enfuit et pénètre dans les maisons, jusque sur la table du vieux berger qui vient de mourir.
La quatrième partie termine le cycle inauguré par le prologue. En débitant le grand sapin, on construit une meule de charbon de bois, suivant un procédé ancestral, soigneusement réalisé ; elle fournira le village de charbon pour toute la durée de l’hiver. La même meule de charbon de bois était au centre du grand roman d’Ernst Wiechert, « Les enfants Jeromine », situé à l’autre extrémité de l’Europe, en Prusse Orientale, dans les dernières années du 19e siècle. Des bergers, on en voyait aussi dans le magnifique documentaire de Raymond Depardon sur les vieux paysans de Lozère et de Haute-Loire appelé « La vie moderne ». Ce sont la sagesse et l’expérience des hommes d’autrefois qui sont évoquées dans ces œuvres, avec une dignité et une poésie saisissantes.
Jacques Lefur