Le nom des gens
film réalisé par Michel Leclerc et Baya Kasmi, en 2009.
Bahia (non elle n’est pas brésilienne) Benmahmoud est jeune femme très libre : elle utilise totalement son corps (sensuel) au service de son engagement politique “anti-facho”, elle couche avec des réactionnaires pour les convertir à sa cause. Et ça marche la plupart du temps. Un jour, lors d’une émission de radio, elle s’oppose à Arthur Martin (rien à voir avec les cuisines : méfiez-vous donc du “nom des gens”). Il est spécialiste sérieux et précautionneux des épizooties et sexuellement un peu coincé. Bahia le classe d’abord, ce qui lui arrive souvent, parmi les fachos. Mais les choses de la vie sont plus complexes.
Le film a été largement applaudi par le public et une partie de la critique, comme une comédie de bonne facture, et plus profonde qu’il y paraît. Les rares réactions de critiques hostiles (Libération, Les Cahiers du cinéma, …) sont un peu consternantes par leur snobisme élitiste et de leur manque d’humour.
Comédie amusante, fraîche, intelligente, sur des sujets bipolaires graves : l’identité (lui a un père gaulois et une mère juive ; elle un père travailleur maghrébin et une mère franco-bourgeoise tiers-mondiste exaltée) ; les caractères : lui raide/elle fantasque, et des situations contradictoires (un père agent de l’armée coloniale/ l’autre victime de la guerre d’Algérie, une mère d’ascendance bourgeoise/l’autre descendant de déportés, etc.)
Ajoutons une petite griffure aux excès d’une écologie à risque zéro, etc. Tous les thèmes sont abordés clairement, sans lourdeur didactique, mais dans une fantaisie, parfois facile, mais qui fait toujours mouche.
Comédie classique avec ses deux principaux protagonistes aussi opposés que Gary Grant et Katharine Hepburn dans L'Impossible Monsieur Bébé [Howard Hawks, 1938)] ; classique aussi par son art d’aborder des sujets graves avec légèreté [comme Benigni dans La vie est belle, 1997]. Classique encore par ses dialogues très écrits, avec beaucoup de bons mots qui pourraient devenir des proverbes, et un suivi inventif ; par moments, c’est digne de Molière.
Jeu intéressant, parfois impeccable des acteurs, y compris des rôles seconds (mais non secondaires). Exemple : l’Intelligence du ton du père de Bahia, le “vieil arabe dévoué”, presqu’archétypal, ne se plaignant jamais, fier de sa fille même si elle se montre à l’opposé de ses propres principes, peintre du dimanche ignorant sa valeur. Gamblin un peu lunaire, toujours juste, Sara Forestier “débridée” à tous les sens du mot. Intervention brève, distrayante et réussie de Jospin… Les personnages ne sont pas figés dans leurs rôles pourtant schématiques : Arthur le scientifique rigide s’assouplit, Baya passe d’une sensualité irresponsable à l’amour, et passant outre son attitude de commando sexuel, elle devient mère.
Même si le rythme du film est globalement “paisible”, il se passe toujours quelque chose. Des situations rares, voire improbables, présentées de façon à la fois ludique et tendue (on n’est jamais au “Théâtre ce soir”), sans aucune violence ni trivialité, ainsi l’affrontement de Bahia avec l’intégriste de service. Un des sommets du genre, c’est le repas avec les deux familles, pendant lequel Bahia, pleine de bonne volonté, enfile gaffe sur gaffe (comique de répétition !). Encore une jolie scène lorsqu’avant leur première “union” physique prévisible, Bahia se présente nue, bien tentante, mais Arthur, dans sa réaction de pudeur structurelle, la rhabille peu à peu, avec une lenteur tout autant érotique que les déshabillages exprès habituels.
Des scènes-chocs, qui auraient pu sembler excessives, comme la déambulation de Bahia à poil dans la rue et le métro pour souligner à la fois sa distraction et sa désinvolture, c’est énorme, mais tourné avec grâce et sans vulgarité : elle est nue parce que, préoccupée, et pressée, elle a simplement oublié de s’habiller. Les lourds secrets de famille sous-jacents : la déportation des grands-parents d’Arthur dont on ne parlait jamais, la malheureuse expérience de Bahia petite fille, victime d’un pédophile, qu’elle n’a jamais pu exprimer, sont d’importants ressorts et d’indispensables explications des drames vécus, mais loin de toute insistance mal venue, ils sont à peine suggérés,
Film émouvant, sensible, apparemment léger, mais finalement profond et optimiste, “moral” au sens où l’entendait Molière, c’est-à-dire qu’au lieu de nous asséner une leçon sur la tolérance, l’antiracisme, etc., il nous corrige par le rire, en nous faisant prendre conscience de situations délicates en douceur. Ce n’est peut-être pas un “grand film” (on ne peut pas faire tous les jours Rashomon ou Citizen Kane), c’est sûrement – dans son genre – un bon film, et qui nous a bien plu, voire pour certains de nos amis, enthousiasmés.
Marcel Bernos