Le Groupe des Dombes : l’œcuménisme au travail
Ce groupe œcuménique de réflexion théologique fondé en 1937 s’apprête à publier un important document sur le Notre Père.
C’est un cercle réputé discret. Voire impénétrable. Pourtant, l’impact de sa réflexion est mondial. On dit que certains de ses travaux ont inspiré le concile Vatican II ou le Conseil œcuménique des Églises.
En 1991, informé de la publication du fameux document sur la conversion des Églises rédigé par le groupe des Dombes, le pape Jean-Paul II aurait même fait savoir qu’il s’empresserait de le lire dans l’avion qui devait le conduire au Brésil, pour son 53e voyage pontifical… Signe de l’aura d’une institution devenue en l’espace de quelques décennies une référence incontournable, jusqu’au sommet de l’Église.
La fécondité du groupe des Dombes est d’autant plus étonnante que ses quarante théologiens catholiques et protestants – choisis par cooptation – n’ont reçu aucun mandat officiel de leurs communautés respectives et s’expriment donc en leur nom propre lorsqu’ils se réunissent chaque fin d’été, à l’abbaye bénédictine de Pradines, près de Roanne.
« On ne peut pas ronronner dans nos échanges »
C’est là, dans ce cadre champêtre et monacal, que les « dombistes » ont choisi de se pencher patiemment sur les grandes querelles qui ont opposé les Églises issues de la Réforme et l’Église catholique.
À en croire les participants, le climat de bienveillance et d’écoute affiché par le groupe n’exclut pas une certaine vigueur : « Nous ne sommes pas là pour manier la langue de bois ni cultiver une forme de diplomatie œcuménique », prévient Gottfried Hamman, 73 ans, qui s’apprête à quitter le groupe après vingt-cinq ans de bons et loyaux services.
« Ce qui m’a passionné ici, confie le pasteur luthérien, c’est ce débat permanent qui fait qu’on ne peut pas ronronner dans nos échanges. On sent qu’on traîne avec nous un contentieux vieux de 400 voire 500 ans, et qu’on ne peut pas passer comme chat sur braise sur les questions épineuses. Il faut savoir empoigner le problème, c’est-à-dire revisiter l’histoire de nos Églises pour démonter les mécanismes de division, afin de mieux les remonter dans une perspective d’unité. » Pas moins.
« Nous ne sommes pas un groupe de techniciens ! »
De fait, en plus de soixante-dix ans, le groupe des Dombes a abordé de front de très nombreux points de clivage entre protestants et catholiques. D’abord sur le plan ecclésiologique – qu’entend-on quand on dit « l’Église » ? – et notamment les thèmes controversés de l’autorité, de la succession apostolique ou encore de la communion des saints. Puis, dans les années 1970, plusieurs documents se sont attachés à mettre en lumière les points d’accord des Églises sur des aspects essentiels de la foi : eucharistie, Esprit Saint, ministères…
Les années 1990 seront marquées par un important travail autour de la conversion des Églises, suivi d’un document consacré à Marie. Ce texte, qui a largement contribué à revaloriser la figure mariale dans le protestantisme ces dix dernières années, a d’ailleurs été primé en 2001 par la Faculté théologique pontificale Marianum à Rome. Mais comment travaillent au juste ces théologiens, qui ont pour habitude de se réunir dans la plus parfaite parité (20 catholiques et 20 protestants) ?
« Ce que nous vivons, c’est d’abord une expérience de fraternité, de respect mutuel, dit simplement le P. Michel Mallèvre, ancien directeur du Service pour l’unité des chrétiens à la Conférence des évêques de France. À la différence d’autres instances de dialogue, nous n’avons pas le souci de rassembler les meilleurs théologiens du moment, mais des gens qui ont un même désir de faire avancer l’œcuménisme. Nous ne sommes pas un groupe de techniciens ! »
« Redire quelque chose de commun sur la foi dans un langage d’aujourd’hui »
C’est précisément cette diversité qui séduit Éric Boone, 38 ans : « Il y a parmi nous aussi bien des théologiens de haut vol que des pasteurs de terrain, cela permet de faire remonter des questions concrètes, il y a un frottement intéressant entre une théologie très exigeante et le souci des croyants », explique ce laïc, directeur du centre théologique de Poitiers. D’autant, appuie-t-il, que « la vie théologique, spirituelle et fraternelle sont étroitement liées dans notre démarche ». Prière commune, débats, mais aussi repas et tâches quotidiennes… Ou, comme le dit avec humour un autre dombiste, « quand on a fait la vaisselle ensemble, on ne dialogue plus de la même façon » !
Pour Matthias Wirz, membre de la communauté monastique œcuménique de Bose en Italie, cette « authenticité » vécue permet d’aborder sans fard « les questions embarrassantes », même si « on peut se heurter ponctuellement à des désaccords assez forts ».
Quel que soit le travail engagé, le protocole est immuable : une fois qu’un thème a été choisi, deux théologiens – généralement un protestant et un catholique – sont invités à apporter une contribution devant leurs confrères. Des documents sont alors rédigés et affinés collectivement, afin que chacun puisse signer le texte final en son âme et conscience. Celui sur le Notre Père, par exemple, qui sera publié prochainement, a ainsi été remanié à quatre reprises et nécessité plus de cinq ans de gestation ! « Le défi, c’est qu’avec nos différentes sensibilités et nos expériences, nous parvenions à redire quelque chose de commun sur la foi dans un langage d’aujourd’hui », explique le P. Mallèvre.
« L’œcuménisme de demain ne suivra plus forcément les frontières confessionnelles »
D’où ce soin extrême apporté à la rédaction, au choix des mots… Une rigueur d’autant plus nécessaire que l’œcuménisme amorce actuellement un nouveau cap, selon Élisabeth Parmentier, qui fut l’une des premières femmes à rejoindre le groupe, en 1998 : « Depuis Vatican II, le dialogue entre nos Églises a connu de grandes avancées, que ce soit au niveau de la liturgie, de la pastorale ou des ministères… Aujourd’hui, il faudrait qu’elles aient le courage de franchir une étape de plus en signant des déclarations communes, mais elles prennent peur. »
Or, plaide la théologienne protestante, « il est important que les Églises donnent un signe visible d’unité, que la réconciliation soit quelque chose de concret pour les peuples. Mais il reste un chemin immense, d’autant que l’œcuménisme de demain ne suivra plus forcément les frontières confessionnelles ».
Selon elle en effet, un réformé peut se sentir plus proche d’un catholique conciliaire que d’un protestant fondamentaliste, et réciproquement. Au fond, selon le pasteur Marc Chambron, les grands désaccords entre protestants et catholiques ne portent plus tant sur la formulation d’une « foi commune » que « sur la manière de vivre en tant qu’Église et sur des options morales ou éthiques ».
François-Xavier MAIGRE
à Pradines (Loire) pour La-Croix.com