Le Feu est passé à Métabief
Métabief est une petite commune du Haut Doubs située à mille mètres d’altitude, un lieu de vacances, de sports d’hiver et d’été.
Habituellement, seules quelques voitures stationnent sur le parking du centre du village : véhicules de commerçants, d’habitants ou d’un petit nombre d’estivants.
Mais, ce jour-là, ce dernier samedi de juillet, non seulement le parking affichait complet mais les voitures arrivaient et se rangeaient même le long des rues et jusqu’aux abords des sentiers.
Sur le moment je crus à un grand nombre de vacanciers ayant choisi ce lieu de villégiature. Mais, soudain, je me souvins de l’annonce du festival de Métabief commencé dès le vendredi soir et devant se poursuivre le samedi soir jusqu’au dimanche matin.
Les voitures se suivaient livrant leur chargement : des jeunes, des adolescents pour la-plupart, mais des dizaines, des centaines de jeunes. En descendant de voiture ils se précipitaient pour rejoindre la queue afin d’acheter leur billet d’entrée.
Pour ne rien perdre du spectacle certains avaient dressé leurs tentes sur les pentes du Morond adossé aux falaises vertigineuses du Mont d’Or, le point culminant de la région. D’autres venus avec des camping-cars avaient improvisé des barbecues et faisaient déjà cuire des grillades pour le repas du soir en riant aux éclats.
Des jeunes, en couples, profitaient de l’attente dans la file pour s’enlacer ou échanger des baisers furtifs.
Quelques curieux plus âgés s’infiltraient timidement dans la queue pour acheter un billet, conscients que le spectacle ne leur était pas réservé.
Tous semblaient comme attirés par la magie de cette queue qui leur ouvrait, pour un soir et une nuit, la porte des prairies et des sons.
Des cris de joie fusaient des voitures d’où s’échappaient des grappes d’adolescents rieurs. Toute une jeunesse respirait la bonne humeur, l’entrain, l’enthousiasme, la spontanéité. Tous étaient là au nom de la musique, de leur musique et surtout de l’ambiance qu’elle allait leur procurer. C’était un temps enlevé à la morosité des jours, préservé de tout signe de tristesse ou de violence, un temps qui resterait gravé en eux, un temps hors de tout temps comme arraché à la Vie Éternelle dans l’ivresse de la musique techno. Et c’était là tout près, à leur portée, sur les pentes herbeuses du Morond.
Peu avant la multiplication des pains, Jean nous dit que Jésus fait s’étendre les gens dans l’herbe, à la fois pour les nourrir et les faire se reposer. J’imaginais la même scène reportée à notre temps. Déjà, à l’époque, Jésus avait choisi des espaces de près et de champs pour recevoir les foules.
Je regardais le titre du festival. Il s’intitulait « festival de paille ». Nous n’étions pas loin du blé, donc du pain. Le blé, c’était toute cette jeunesse qui pendant quelques heures, allait brûler la paille des désillusions et des désenchantements. Ce déferlement de joie avait quelque chose d’étranger à ce monde et allait vers une vérité qui le dépassait.
Et je pensais soudain que l’attrait de la musique pouvait s’apparenter ici à l’attrait pour la parole de Dieu. Aujourd’hui, le Christ n’utiliserait-il pas cette musique pour les nourrir et non plus quelques pains et quelques poissons ? Selon les époques les foules ne se nourrissent plus de la même façon. Quand les bouches sont pleines il reste à nourrir les esprits.
Le festival de Métabief né de la disparition des bals de campagne et inspiré de la nouveauté dans la musique et de la modernité dans les spectacles, n’était-il pas un peu l’œuvre de l’Esprit pour provoquer tant de joie ? Là où se rassemblent les foules pour écouter, pour participer, pour s’élever comme une action de grâces dans la paix, dans la joie et la fraternité, dans l’amitié trouvée et retrouvée, il reste à rechercher si Dieu ne nous fait pas des signes très inhabituels mais des signes de multiplications dans lesquels l’Esprit est à l’œuvre, l’Esprit s’adressant ainsi à toute l’humanité croyante ou non mais dans un même élan vers la vie, vers la vraie vie.
Comment ne pas penser que l’Esprit puisse employer plusieurs procédés pour agir et faire agir ? Le profane n’est-il pas un terrain tout neuf ? Et le neuf, le créatif, le vivant sont les apanages de l’Esprit. Aujourd’hui l’Esprit nous signifie qu’il n’a aucune préférence. Lui ajouter le mot « Saint » le définit par rapport aux chrétiens. Mais il est d’abord « l’Esprit » pour tous.
Un « feu de paille » le festival de Métabief, un instant sans lendemain ? C’est possible mais plusieurs feux de paille peuvent provoquer un incendie. Et si la joie, même une joie totalement extérieure, devenait un incendie de l’Esprit ?
Et soudain, criant d’espace et d’avenir, le XXIIIe siècle m’apparut. Les églises, les temples, les synagogues, les mosquées avaient disparu ou fermé ou encore s’étaient reconverties pour offrir des spectacles.
Et l’Esprit libéré de toute entrave réapparaissait dans les lieux choisis et fréquentés par Jésus : la montagne, les sources et les puits, le désert, les champs, les prés, les arbres ; des lieux que ses pas avaient recréés avec l’annonce de Sa Parole, une Parole qu’on ne pouvait enfermer, sans cesse en élan, sans cesse en mouvement et en jaillissement continu.
Les crêtes des épicéas avaient remplacé les clochers et le vent les berçait fraternellement l’une vers l’autre.
Et c’était ce même vent partout sur terre, celui dont on ne sait toujours ni d’où il vient ni où il va.
Christiane Guès