Le devoir fraternel
« Enlève d’abord la poutre de ton œil,
alors tu verras clair pour retirer la paille
qui est dans l’œil de ton frère. »
(Matthieu 7,5)
Mon frère en humanité, mon frère en communauté de foi, souffre.
Son œil pleure, il voit mal, sa vue, brouillée par un brin paille apportée par le vent des rues, gêne considérablement sa manière de voir la beauté des choses et des personnes…
La fraternité m’invite à l’aider pour qu’il puisse porter un regard clair sur ce qui l’environne et aller son chemin personnel, en sécurité et sans trop de peine.
Je suis requis par son mal pour qu’il exerce, après guérison, son entière autonomie et sa juste perception du monde !
M’étant aperçu de sa difficulté, je dois me déranger, m’approcher de lui avec délicatesse, lui demander la permission de lui parler en vérité, lui ôter cette broutille qui l’importune, lui rendre ce service avec le plus de douceur possible.
Le devoir d’honnêteté
Avant d’effectuer cette démarche fraternelle, il est honnête de vérifier si je suis moi-même « clairvoyant »,
si rien n’obscurcit mon regard, si je suis tout à fait apte et qualifié pour rendre ce service ‘libérateur’ pour lui.
Si jamais je m’aperçois que mon regard est trouble (bien plus trouble que le sien) et mes yeux mauvais (bien plus mauvais que les siens), il est indispensable que je me débarrasse de tout ce qui perturbe gravement ma vision des choses et des personnes avant de lui proposer mon aide.
Si mon devoir fraternel exige que je lui porte secours, il est important, afin d’éviter tout geste indélicat et maladroit, que je m’assure de ma bienveillante, désintéressée et efficace acuité. Je ne peux pas tricher avec moi-même et faire plus de mal que de bien à mon frère parce qu’il y aurait de l’agacement dans ma démarche…
Si la paille dans l’œil de mon frère me fait prendre conscience de la poutre qui, quoiqu’énorme, ne me faisait pas assez souffrir pour la remarquer et y porter un remède, alors je suis bien heureux et demande de l’aide pour me « purifier » les yeux.
Le devoir de conversion
Le devoir fraternel d’assistance à autrui se conjugue donc nécessairement avec le devoir d’honnêteté personnelle dans tous nos rapports fraternels. Trop souvent nous voulons aider les autres sans nous être suffisamment préparés nous mêmes. Le regard sur les petites faiblesses de nos frères nous invite, par le devoir d’aide que nous désirons porter, à ne pas nous faire des illusions sur notre propre manière d’être. Tous nous sommes des pauvres qui devons nous porter assistance et nous convertir ensemble.
Vivre en communion exige douceur et compétence. Notre regard porté sur autrui nous appelle à prendre chacun les moyens de guérir. Il ne s’agit pas d’être parfait pour suggérer à l’autre de prendre une voie de guérison, il est simplement salutaire pour les uns et pour les autres d’avoir à commencer en commun un parcours de simplicité délicate, de discernement juste, d’intériorité lucide, d’acquisition de doigté, de thérapie spirituelle adaptée.
Prendre conscience que nous ne pouvons ouvrir les yeux à d’autres que si nous avons les yeux ouverts sur nous et commençons à cheminer dans une réciprocité d’entraide spirituelle, est un cadeau de l’Esprit Saint.
Bienheureuse Lumière de la vie fraternelle
- Rien de pire que ceux qui disent et ne font pas.
- Rien de pire que ceux qui poussent autrui à l’action et restent sur le banc de touche.
- Rien de pire que ceux qui critiquent autrui sans entrer dans la pénitence qui donne droit à la parole.
- Rien de pire que les « suffisants » qui jugent de « l’insuffisance » des autres.
- Rien de pire que ceux qui exigent beaucoup des autres et trouvent « benoitement », des prétextes pour se mettre à l’abri. Ils n’ont pas les mains sales car ils n’ont plus de main.
- Rien de pire que ceux qui ont tout compris d’avance et ont un jugement péremptoire.
- Rien de pire que ceux qui préconisent d’excellentes solutions et ne prennent aucun chemin pour les faire réussir.
Tous, plus ou moins, nous faisons partie de ces « rien de pire » ; il est toujours temps de changer !
Il nous reste à avoir recours à la miséricorde de Dieu, demander assistance à tel ou tel, ouvrir en nous un parcours de pénitence.
Qu’il est bon pour des frères de vivre ensemble et de s’appeler les uns et les autres à la rectitude humaine et à la conversion du cœur, moins par des paroles grondeuses, des brusqueries de langage, que par le regard d’amour.
Christian Montfalcon