Le devoir de dire la vérité sur le monde

Publié le par G&S

Vaclav-Havel.jpgAu moment où Vaclav Havel disparaît, jamais peut-être son message n’a été aussi actuel. Son itinéraire exceptionnel l’a conduit à faire de la politique une action qu’il qualifiait d’« humaine, cultivée, sensible et courtoise ».

Pour bien le comprendre, il faut se souvenir qu’avant d’être le dissident qui a connu plusieurs années de prison parce qu’engagé dans la Charte 77, puis le Président de son pays, il a d’abord été un écrivain et un homme de théâtre. « Je suis écrivain, écrit-il, et j'ai toujours conçu ma mission comme le devoir de dire la vérité sur le monde dans lequel je vis, de parler de ses hommes et de ses misères ; donc plutôt de prévenir et de guérir. Proposer de meilleures solutions et tenter de les réaliser, c'est la tâche des hommes politiques, ce que je n'ai jamais voulu devenir » 1. Cependant, la logique même du sens de son théâtre va le conduire à s’engager : « Le style de l'observateur amusé, non concerné, se révélait brusquement inadéquat, périmé, voire proche d'une dérobade. (...) Passé le temps des jongleries verbales, ce qui était en jeu, c'était l'existence des hommes. Plutôt que de railler, tout à coup montait une envie de crier. (...) Tout cela m'a incité à développer le thème de la crise d'identité de l'homme, fil conducteur de mon théâtre, dans l'abstrait » 2.

Analysant la situation de la Tchécoslovaquie normalisée après l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie en 1968, Havel la décrit comme une société post-totalitaire. Il ne s'agit plus de la terreur stalinienne mais d'un asservissement spirituel, politique et moral, masqué par l'accès à la société de consommation que commençait à permettre la situation économique de son pays.

Cette société à ses yeux ne fait que porter à l'excès la tendance des sociétés modernes. « On pourrait dire de manière très simplifiée que le système post-totalitaire s'est développé sur le terrain de la rencontre historique de la dictature avec la société de consommation. Est-ce que l'adaptation tellement générale à la vie dans le mensonge, et le développement tellement aisé de l'auto-totalitarisme social ne sont pas en rapport avec la répugnance générale de l'individu de la société de consommation à sacrifier quoi que ce soit de ses acquis matériels au nom de sa propre intégrité spirituelle et morale ? » 3

Inviter à lire Havel ne consiste pas à le transformer en un mythe dont lui-même, homme de théâtre, ne manquerait pas de sourire. L’essentiel de la pensée et de l’action de Vaclav Havel consiste à ne cesser d’appeler, dans le champ politique, à la responsabilité et au ressourcement spirituel.

Dans une période où tant de professionnels de la politique capitulent devant le pouvoir mondial de l’argent, c’est une chance pour l’Europe d’avoir connu un Chef d’État qui exprimait ainsi l’art de la politique : « Je suis partisan du principe civique parce que c’est lui qui permet le mieux aux hommes de se réaliser et de s’identifier avec ce qu’ils sont dans toutes les composantes de leur chez-soi, de jouir de tout ce qui fait partie de leur monde naturel, et pas seulement d’une de ses parties. Fonder un État sur d’autres principes que civiques, par exemple sur les principes idéologiques, nationaux ou religieux, signifie mettre en exergue une composante de notre chez soi en dépit des autres, nous limiter en tant qu’hommes et limiter notre monde naturel » 4.

Bernard Ginisty

1 – Vaclav Havel : Interrogatoire à distance. Éditions de l’Aube, 1989, page 13

2 – Vaclav Havel : Audience, Vernissage, Pétition (pièce de théâtre), Éditions Gallimard, Paris,1980, page 25

3 – Vaclav Havel : Essais politiques. Éditions Calmann-Lévy, 1989, page 85-86

4 – Vaclav Havel : Méditations d’été, Éditions de l’Aube, 1992, page 26

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