Le confesseur, “médecin des âmes ”

Publié le par G&S

Au moment où la confession est devenue une pratique minoritaire parmi les catholiques, il n’est pas inutile de se rappeler comment on appréciait le confesseur, il y a quelques siècles.

L’image du péché comme signe d’une maladie de l’âme est banale dans la littérature morale juive et chrétienne. C’était déjà la conviction des amis de Job. Elle est sous-jacente aux récits des guérisons dans les Évangiles. Quand Jésus dit au miraculé: “Va et ne pèche plus ”, cela implique un lien direct entre la maladie ou le handicap qui frappait celui-ci et son état de pécheur. Ce schéma est totalement intériorisé par les fidèles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Richard l’Avocat, prédicateur laïc (1639-1719), rappelle que “la mort et les maladies sont les peines du péché”. Dans ses Réflexions sur la miséricorde de Dieu par une dame pénitente (1670), Mme de La Vallière, ancienne maîtresse de Louis XIV prête à devenir carmélite, emploie à trois reprises au moins un vocabulaire médical pour solliciter un remède proportionné aux péchés commis et aux douleurs qu’elle en ressent. Elle demande à Dieu “le divin émétique qui doit produire sa guérison (ou) les “caustiques nécessaires pour consumer la pourriture et la gangrène de [son] âme.”

Les nombreux manuels de confession de l’époque classique consacrent souvent une partie de leur exposé à pointer les qualités nécessaires à un “bon confesseur” : sainteté personnelle, science morale et casuistique, zèle, patience, prudence, discrétion (l’importance du respect du secret de la confession est indispensable pour conserver la confiance du pénitent), etc. Il est présenté surtout dans ses différentes fonctions : père, juge, instructeur, médecin… De bons auteurs envisagent ce dernier rôle au pied de la lettre, tel Barnabé Saladin, dans son Médecin spirituel des âmes craintives et scrupuleuses (1690) :

Jean-Eudes.JPGSaint Jean Eudes (Le Bon confesseur, 1642) avertit à ce sujet : “[Dans le confessionnal], le confesseur n’est pas seulement en qualité de docteur pour instruire les pénitents des choses qu’ils doivent savoir, ni de juge pour les interroger comme criminels, ni de médiateur pour les porter à se réconcilier avec Dieu par la contrition et la détestation de leurs offenses ; mais il est aussi en qualité de médecin des âmes. À raison de quoi il doit leur appliquer des remèdes convenables pour les empêcher d’y retomber, pour consolider leurs plaies, pour achever de les guérir parfaitement et pour les affermir dans la santé spirituelle que Dieu leur rendra par son moyen.

Sa fonction thérapeutique donne au confesseur des responsabilités, mais aussi des droits, semblable à ceux que l’on reconnaît au médecin soignant les corps. L’imbrication de la maladie et du péché les amènent d’ailleurs à collaborer. Avant de soigner son corps souffrant, pour lequel il recourt naturellement à un médecin, le malade-pécheur doit se confesser, parce que “notre âme est infiniment plus précieuse que notre corps [et que] les secrètes infirmités de l’une sont plus dangereuses et exposées à de plus fâcheuses suites que les maladies de l’autre”. Richard l’Avocat justifie par là la décision d’Innocent III (1198-1216) qui “fit une loi dans le concile de Latran [IV, en 1215] par laquelle il défendit à tout médecin d’ordonner aucun remède à un malade, à moins qu’il ne se fût auparavant confessé.” Loi toujours appliquée au XVIIe siècle.

Comme le médecin des corps, le confesseur doit être “savant”, il doit bien connaître la théologie morale et les cas de conscience, ce qui s’acquiert par une étude persévérante recommandée par les évêques. Les procès-verbaux de visites pastorales, les statuts synodaux, les programmes de séminaires, les préfaces de recueils de cas de conscience lui en rappellent l’obligation. Mais la science ne suffit pas, il lui faut tout autant  patience, circonspection et jugement pertinent qui lui permettent d’acquérir une expérience pratique en faisant le moins de dégâts possible chez ses pénitents. “Un confesseur savant et sans prudence n’est pas moins dangereux dans le confessionnal qu’un chirurgien qui sort de l’école parfaitement instruit des règles de son art ; mais qui comme il n’a pas le discernement nécessaire pour reconnaître le véritable état de la plaie qu’il entreprend de guérir, il applique mal ses principes et retranche un membre sous de fausses apparences de gangrène”, remarque Louis Habert (Pratique du sacrement de pénitence ou Méthode pour l’administrer utilement, 1690). Cet auteur “hyper-janséniste” réserve quelque surprise à ceux qui garderaient des préjugés définitifs sur le jansénisme et son rigorisme sans nuances. En effet, il est légitime de penser que “le retranchement d’un membre sous de fausses apparences” fait allusion à un refus d’absolution intempestif, alors même qu’Habert reste un farouche partisan de ce refus pour les pécheurs “opiniâtres” et les pénitents qui ne montreraient pas une contrition suffisante.

Comme obligation d’office, l’état de guérisseur des âmes donne aux confesseurs le droit reconnu aux médecins de bien connaître la maladie de leur patient, ses symptômes, ses effets. Pour Saint Alphonse de Liguori Alphonse-de-Liguori.jpg(1696-1787), grand théologien moraliste, le sacrement de pénitence a été une préoccupation pastorale majeure, et son influence sur le clergé français a été déterminante au début du XIXe siècle pour atténuer le rigorisme en vogue. Il a justifié par la comparaison médicale la nécessité d’un interrogatoire poussé, qui paraissait si “inquisitorial” et insupportable à nombre de chrétiens, comme l’a montré l’historien Jean Delumeau (L’aveu et le pardon. Les difficultés de la confession XIIIe-XVIIIe siècle, Fayard, 1990). Dans la logique de cette comparaison, le pénible aveu devient indispensable. “Les bons confesseurs … commencent par rechercher la source et la gravité du mal ; et demandent compte aux pénitents de ses habitudes vicieuses, des occasions qui l’ont fait tomber dans le péché et de l’époque où il y est tombé ; quelles sont les personnes, quelles sont les circonstances qui y ont donné lieu ; car c’est de cette manière qu’ils peuvent appliquer avec le plus de discernement la correction, disposer le pénitent à recevoir l’absolution et lui fournir les remèdes dont il a besoin » Saint Alphonse cite à ce propos le pape Benoît XIV, qui s’était consacré à des résolutions de cas de conscience, lesquelles sont longtemps restés des références : “[il] dit que les avertissements du confesseur sont plus efficaces que les sermons qui se débitent en chaire, et il a raison car le prédicateur ne connaît pas comme le confesseur les circonstances particulières qui ont accompagné les péchés sur lesquels il parle, et par conséquent le confesseur est plus à même d’en faire la correction et d’y appliquer les remèdes.”

Les confesseurs se trouvent parfois confrontés à ce qu’ils considèrent comme une véritable maladie psychique : le scrupule. Saint Antonin de Florence (1389-1459), qui demeure, à l’époque moderne, une des plus solides cautions en matière de théologie morale, le définit comme “un doute qui est accompagné de crainte sans fondement ; et qui, venant de quelques conjectures faibles et incertaines, afflige l’esprit et lui fait appréhender le péché où il n’y en a pas.”  Contrairement à ce que l’on affirme souvent, un bon confesseur n’est pas chargé de “sur-culpabiliser ” le pécheur. S’il a affaire à un récidiviste refusant de reconnaître son péché et de s’amender, il peut être amené à le menacer ou, plus simplement, à lui refuser l’absolution. Mais les manuels de confession et les recueils de cas de conscience sont unanimes pour recommander de traiter avec bienveillance, patience et compassion, les pénitents, particulièrement les personnes affligées de cette cruelle inclination à se croire toujours en faute, et sans rémission possible. Des auteurs consacrent des volumes entiers à ce qu’ils assimilent donc à une maladie de l’âme et donnent les règles à suivre pour aider les pénitents à s’en libérer.

On retrouve, dans la prédication, toujours par analogie avec la médecine, la mention du nécessaire examen clinique, qui doit forcément commencer par un auto-examen : “Un médecin peut-il guérir un mal qui lui est inconnu ? […] Pour donner à ces médecins [de l’âme] la connaissance dont ils ont besoin, il faut vous connaître vous-mêmes, puisqu’il n’y a que vous qui pouvez les instruire ; mais pour vous connaître vous-mêmes, il faut vous examiner […], sonder la profondeur de vos plaies.” (Jean Billot, 1709-1767, Prône pour le 3e dimanche de Carême).

La fonction thérapeutique n’est pas toujours facile à assumer pour le prêtre. Saint Alphonse remarque : “quoique  [le confesseur] doive, en qualité de père, écouter le pénitent avec charité, néanmoins, il doit, en qualité de médecin, leur appliquer les avertissements et la correction dont leur état a besoin […] il doit  s’acquitter de ce devoir même à l’égard de personne d’un rang supérieur.” Cette dernière contrainte, compte tenu des mentalités des nobles et des puissants d’Ancien Régime, pouvait n’être pas de tout repos. Dans tous les cas, et là encore comme un bon thérapeute, le confesseur doit agir avec douceur mais sans complaisance, proportionnant la force des remèdes non seulement à la gravité du mal, mais aussi à la capacité de réception du pénitent. 

Saint Charles BorroméeÉvidemment, le confesseur doit profiter d’une autre prérogative propre à ceux qui soignent : l’assiduité du patient aux consultations. “Il est dangereux et nuisible d’en changer souvent, parce que, comme on ne change pas facilement les médecins du corps, qui traitent souvent un malade, et qui connaissent sa nature et sa complexion, à cause qu’ils savent mieux appliquer les remèdes convenables à son mal ; de même les pénitents ne doivent pas changer le médecin de leurs âmes, qui connaissant leurs défauts leur peut appliquer des remèdes plus utiles et plus convenables” (Saint Charles Borromée, 1538-1584, Instructions aux confesseurs de sa ville et de son diocèse).

Les pénitences elles-mêmes doivent présenter une dimension curative, quoiqu’elle ne soit pas la seule. Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, l’abbé Joseph Pochard (1715- 1786) distingue ainsi, à côté de la pénitence “pénale ”, nécessaire punition du péché d’après le concile de Trente (en sa XIVe session, 25 novembre 1551) et qui peut rester assez générale, la pénitence “médicinale” “qui a une opposition spéciale à un péché dont on veut préserver et retirer son pénitent ; c’est un acte de la vertu opposée à ce péché, elle sert à acquérir et fortifier cette vertu et détruire le péché contraire.” Elle est un remède à la fois “préservatif”, comme disent certains textes, et curatif qu’ on doit imposer à ceux qui ont un violent penchant au péché, soit qu’ils soient déjà dans l’habitude d’y tomber, soit qu’ils n’y soient pas encore ; il est aussi important de précautionner ceux-ci, que de tirer les autres du précipice.”

Des pénitences médicinales particulières doivent s’adapter aux divers péchés, aux différentes passions et tentations. Suit une longue liste de cas concrets, parallèle à celle des commandements et des péchés capitaux ; elle tient compte également des différents “états” de vie. Souvent, elles restent symboliques : regarder le crucifix pour les orgueilleux, ou faire un acte d’adoration de Dieu en baisant la terre pour un blasphéma- teur ; d’autres fois, elles sont très pratiques. Ainsi les ivrognes pourront, pour situer et évaluer leur péché, “penser au fiel dont notre Seigneur fut abreuvé ”, mais ils devront surtout s’éloigner des cabarets et de “ceux qui se livrent au vin”. Mieux encore, “on réglera aussi la quantité de vin qu’ils boiront, on les obligera à y mêler de l’eau ”, voire à jeûner. Cela revient à dire que le confesseur se fait prescripteur d’une ordonnance de désintoxication. Pochard, fort de son expérience de directeur du séminaire de Besançon et de directeur de retraites (pendant lesquelles on se confesse beaucoup), remarque que ceux à qui on n’impose pas de pénitence médicinale, ou qui ne l’accomplissent pas, retombent facilement dans leurs péchés ; “au contraire ceux qui s’en acquittent exactement, se convertissent presque toujours, souvent même en peu de temps.

Dans tous les cas, le confesseur doit inciter impérativement le pénitent à réparer les torts qu’il aurait pu causer à autrui. En cela encore, la confession a une fonction “curative”, non plus personnelle et psychologique, mais sociale.

Jean Eudes, parlant à des missionnaires, dont le propos consiste à émouvoir leurs auditeurs le plus fortement et le plus rapidement possible, donc en frappant leur imagination, leur recommande de représenter aux pécheurs que “s’ils étaient malades d’une maladie corporelle, avec péril de mort, et qu’on leur offrit un remède, avec assurance ou de guérison, s’ils en voulaient user, ou de mort, s’ils les négligeaient, ils ne manqueraient pas de s’en servir ; qu’ils sont malades de plusieurs maladies spirituelles, qui tendent à leur donner la mort éternelle ; que s’ils mettent en usage les remèdes qu’on leur propose, ils guériront assurément, sinon qu’ils mourront infailliblement, et de la mort éternelle.”

La vraie marque de la guérison, au XVIIe siècle, c’est la conversion intérieure. On peut parler de conversion lorsque le pécheur accepte d’abord de changer sa vie, de rectifier la manière dont il la mène, quand bien même il continuerait sa profession, garderait ses relations familiales, maintiendrait ses engagements civiques, etc. Il faut ensuite qu’il témoigne, par une pénitence sincère, de la nouvelle orientation de son désir. Louise de La Vallière, indique une automédication de l’âme plus subtile dans la voie d’une progression spirituelle : la prière.

Quant au prêtre, il doit garder distance, rester totalement désintéressé, comme un simple instrument de la grâce divine qui seule peut tout. Car il est possible que son zèle ne soit pas récompensé et n’obtienne aucun succès : “Après tout, remarque Pierre Collet († 1770), célèbre formateur du clergé dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le médecin est chargé de voir son malade ; il n’est pas chargé de le guérir ; sa vie et sa mort sont entre les mains de celui qui donne l’une ou l’autre à son gré.”

Marcel BERNOS
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Publié dans DOSSIER LE PECHE

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