Le combat spirituel contre l’argent roi
Une nouvelle fois, une crise systémique financière majeure menace la planète. Les déclarations des dirigeants politiques et des institutions internationales paraissent de plus en plus comme des vœux pieux face à une déferlante qui balaie tout sur son passage. Nous arrivons au terme d’un processus que Charles Péguy avait diagnostiqué dans un de ses derniers textes écrit avant sa mort au front en 1914 :
« Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est maître sans limitation ni mesure. Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est seul en face de l’esprit. Pour la première fois dans l’histoire du monde l’argent est seul devant Dieu. (…) Par on ne sait quelle effrayante aventure, par on ne sait quelle aberration de mécanisme, par un décalage, par un dérèglement, par un monstrueux affolement de la mécanique ce qui ne devait servir qu’à l’échange a complètement envahi la valeur à échanger. Il ne faut donc pas dire seulement que dans le monde moderne l’échelle des valeurs a été bouleversée. Il faut dire qu’elle a été anéantie, puisque l’appareil de mesure et d’échange et d’évaluation a envahi toute la valeur qu’il devait servir à mesurer, échanger, évaluer.» 1
Ce qui se donne comme la science financière apparaît clairement aujourd’hui comme la mise en forme rationnelle de l’avidité humaine sans fin. Nous ne sommes pas en face d’un destin mais d’une idole. Qu’est-ce qu’une idole, sinon une construction faite de main d’homme et qui lui revient en boomerang comme un destin, car il oublie que c’est lui qui l’a générée ? Et c’est donc d’abord notre complicité plus ou moins consciente avec cette idole qu’il nous faut d’abord analyser.
C’est l’application du propos de Gandhi : « Sois le changement que tu voudrais voir advenir ! » C’est aussi ce qu’affirmait Vaclav Havel lorsqu’il luttait contre le totalitarisme politique dans son pays. Pour lui, les totalitarismes ne sont pas des contraintes totalement extérieures. « La ligne de ce conflit écrit-il, passe par chaque individu, car chacun est à sa manière victime et support du système. (…) Le fait que l’individu ait créé et qu’il crée quotidiennement un système trouvant sa fin en soi, par lequel il se prive lui-même de son identité la plus ultime, ne constitue donc pas une espèce de malentendu incompréhensible de l’histoire. (…) Cela n’a pu arriver que parce qu’il existe manifestement dans l’homme moderne certaines dispositions qui lui permettent de créer ou, tout au moins, de supporter, un tel système. » 2
La lutte contre cette crise majeure est donc fondamentalement un combat spirituel. C’est ce que proclament, dans une déclaration, 500 personnes réunies les 10 et 11 septembre dernier par l’université bouddhiste d’Avalon, en Savoie, pour un colloque intitulé : Économie et Spiritualité. Altruisme plutôt qu’avidité. Ce texte analyse ainsi quatre causes principales de cette crise :
« L’avidité pour la quantité et l’accumulation des biens associés à la peur du manque provoqués par une “erreur” de perspective portée par une civilisation de l’avoir.
« L’avidité spéculative qui œuvre comme un vampire suçant le sang de la terre et de ses habitants. Les vampires craignent la lumière ; il s’agit donc de faire la lumière pour les faire disparaître !
« L’économie devenue une finalité pour elle-même alors qu’elle doit être un outil au service de tous.
« L’illusion de la séparation entre l’humanité et son environnement naturel. » 3
Lutter contre le totalitarisme du pouvoir anonyme de ce qu’on appelle les marchés financiers suppose un travail de déconstruction intellectuelle, éthique et spirituelle de nos complicités avec ce que nous dénonçons.
Ce travail peut seul donner sens aux indispensables « réformes ».
Bernard Ginisty
1 – Charles Péguy : Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne (1914). In Œuvres en prose complètes, Tome 3, Éditions Gallimard, bibliothèque de La Pléiade pages 1455-1457.
2 – Vaclav Havel : Essais Politiques, Editions Calmann-Lévy, 1989, pages 84-85
3 – Université Rimay-Nalanda, Domaine d’Avalon , 73110 Arvillard. Site www.université.rimay.net