Le carême, invitation à lutter contre nos prostitutions
Le temps de carême dans lequel nous venons d’entrer invite à relire des textes des prophètes de la Bible s’insurgeant contre les « prostitutions » qui minent nos existences. En effet, la prostitution révèle les contradictions qui habitent nos sociétés et la tartuferie qui les maquille.
S’arrêter sur les blessures profondes de ceux et celles qui n’ont que leur corps à vendre ne saurait nous dispenser de toute lucidité sur les valeurs que nous monnayons chaque jour. La prostitution nous concerne tous. Si la société jette l’opprobre sur certains trottoirs, elle décrète que d’autres font partie de ce qu’on appelle des belles carrières.
Les imprécations contre la prostitution abondent dans la Bible, mais, paradoxalement, elles ne visent pas en priorité le commerce sexuel, mais celui avec les idoles. La prostitution abominable, c’est se vendre à un Baal qui n’est pas Dieu.
La prostitution des corps y apparaît moins dangereuse que les enfermements meurtriers dans les absolus du pouvoir, de l’argent, du refus de l’étranger, du dogmatisme. Les étreintes tarifées se révèlent moins destructrices d’humanité que les discours satisfaits de certains rentiers des grandes valeurs qui, après en avoir été les militants, en sont devenus les trafiquants. Il est certes important de lutter contre les filières qui offrent des corps jeunes à la consommation sexuelle. Mais combien d’autres prostitutions polluent nos existences ! Prostitution des mots dans les langues de bois et des images à longueur de media, prostitution d’enthousiasmes militants par des apparatchiks sans foi ni loi, prostitution de la quête d’absolu par des cléricalismes ou des gurus surfant sur le mal être, prostitution du temps et du goût de vivre dans des rythmes de travail qui usent des existences entières.
Dans son ouvrage Le Sauvage indigné, Maurice Bellet note qu’« il arrive que derrière l’énergie, l’efficacité, le calcul, la profusion de réussites se tienne en fait une irréparable résignation » 1.
Le message évangélique ne nous invite pas au moralisme ou à la « théologie de la prospérité » chère à certains milieux pentecôtistes américains, mais à risquer notre vulnérabilité dans la rencontre avec autrui au lieu de la masquer derrière les grimaces des habitués des trottoirs de la “ réussite ” sociale.
C’est le sens de l’apostrophe du Christ aux clercs de son époque, qui situe où sont les vraies prostitutions : « Publicains et prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu » 2.
ernard Ginisty
1 – Maurice Bellet : Le Sauvage indigné. Éditions Desclée de Brouwer 1998
2 – Évangile de Matthieu 21,31