La solidarité, sol de la solidité sociale
La société française connaît un fossé de plus en plus grand entre salariés protégés par le statut ou des contrats à durée indéterminée et tous ceux qui connaissent la précarité, notamment les jeunes. Un sondage international réalisé en 2008 par la Fondation Innovation politique, montre que seuls 25,6 % de jeunes Français pensent que l’avenir est « prometteur », alors que l’ensemble des jeunes Européens moyens sont optimistes à 32 %. Éric Maurin voit également dans cette situation les raisons profondes des échecs du Parti socialiste, coincé entre sa clientèle électorale et militante de « protégés » et sa volonté de toucher les précaires et les jeunes.
Dans ce contexte, l’action politique devient très difficile. « Pour conjurer le déclassement, déclare Éric Maurin, les politiques sont contraints de renforcer les protections dont bénéficient déjà les salariés les plus protégés. (…) À l’inverse, pour lutter contre la peur du déclassement, il faut réduire l’écart gigantesque entre ceux qui sont protégés et les autres, car c’est ce gouffre qui est le principe même de la peur. On voit bien que ces deux politiques sont largement incompatibles » 3.
Appelé à réagir sur cet ouvrage, François Chérèque, Secrétaire général de la CFDT déclare : « Le livre d’Éric Maurin montre très bien que nous sommes dans une société duale, entre ceux qui sont protégés et les autres, notamment les jeunes. Depuis trente ans, la jeunesse est prise dans un double mouvement : chômage de masse d’un côté, démocratisation scolaire de l’autre. Les jeunes sont toujours plus diplômés mais, par la précarité qu’ils subissent, ils continuent de servir de protection aux salariés qui sont le plus protégés » 4.
Les hérauts d’un certain libéralisme ne cessent de nous vanter les mérites de la compétition généralisée et de la lutte de tous contre tous, qui devraient, par la miraculeuse « main invisible du marché », assurer à nos sociétés l’harmonie qu’elles recherchent. La crise que nous connaissons oblige à regarder en face la question des solidarités dans nos sociétés. Le dictionnaire Robert définit ainsi le mot solidaire : "Commun à plusieurs personnes de manière que chacun répond de tout (...) ; se dit des personnes qui répondent en commun l'une pour l'autre d'une même chose, qui se sentent liées par une responsabilité et des intérêts communs ” 4. La solidarité définit cette responsabilité mutuelle qui dépasse les rapports marchands.
Elle est le "sol" sur lequel peut s'éprouver la "solidité" d'une société.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 10.10.09
1 - Éric Maurin : La peur du déclassement, Éditions du Seuil 2009, 94 pages, 10,5 euros
2 – Éric Maurin : Toute réforme sera perçue comme une remise en cause d’un statut acquis ». Entretien dans le journal Le Monde du 8 octobre 2009, page 10
3 - Idem
4 - François Chérèque : in Journal Le Monde du 8 octobre 2009, page 11