La solidarité à l’encan ?
Dans ma dernière chronique, j’évoquais comment la crise financière qui n’en finit pas de miner nos sociétés porte finalement sur la question du sens du vivre ensemble. Elle n’est pas le fruit d’un destin ou d’un complot, mais le résultat de la hiérarchie de valeurs plus ou moins consciente à laquelle nous nous soumettons.
En écho à ce propos, un lecteur de mes chroniques, qui connaît bien la Chine et y travaille avec des sociétés locales, a rédigé ce texte qui me paraît illustrer l’extension universelle du règne de l’argent :
Ce fait divers terrible en Chine qui a vu une fillette se faire rouler dessus par plusieurs véhicules dans l'indifférence générale des piétons d'une grande ville a ému le monde entier. Personne n'a bougé sinon une vieille chiffonnière qui a été prévenir sa mère au bout de X temps. Les média chinois ont relayé l'information en se posant la question de savoir si l'accumulation de richesse et le désir d'une classe moyenne montante de consommer n'avaient pas jeté à bas la "solidarité" maoïste. Le gouvernement s'est emparé de cette question et ne la conteste pas, proposant même de voter une loi sur "l'assistance à autrui". (Cette loi n'existe pas encore en Chine).
Pourtant ce n'est pas tant cette information qui m'a marqué, c'est la loi qu'envisage de "voter" les Chinois : ils ne veulent pas d'une loi qui établirait des sanctions en cas de non assistance à personne en danger, non, ils vont voter une loi qui récompensera celui qui portera assistance ! Porter assistance n'est plus un devoir moral, une valeur fondamentale de la société rappelée par une loi, mais un moyen comme un autre de faire du profit !!
Les premiers gestes qui font une société humaine consistent à porter secours à celui qui est en grande difficulté. Ces gestes là vont-ils être peu à peu colonisés par la loi du calcul et du profit ? Le projet de loi de la Chine n’est qu’une illustration de cette tendance lourde de nos sociétés.
Aujourd’hui, le Bon Samaritain de l’Évangile qui perd du temps pour porter secours au blessé rencontré sur son chemin et accepte de donner de l’argent pour qu’il soit bien soigné, serait probablement mal noté par les agences qui classent les États et les entreprises.
En effet, perdre du temps pour s’occuper d’une personne non rentable est une faute contre la compétitivité et donner de l’argent à quelqu’un dans le besoin contribue à cette inflation des dépenses sociales qui alourdissent indument, selon ces agences, la marche des entreprises vers les super profits.
La crise de l’euro que nous traversons porte bien sur le degré de solidarité que nous accepterons ou non entre Européens et sur le type de gouvernance qui en découle.
Il ne s’agit pas là d’une simple question de « morale », mais de la condition même de la survie du projet européen.
Bernard Ginisty