La rumeur et le discrédit
Les pharisiens disaient : « c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons ».
(Matthieu 9,34)
Matthieu l’écrit… Le fait est là : le muet parle. La foule pleine de bon sens dit : « on n’a jamais vu ça ! ». Ce qui est sans doute objectivement vrai.
Les pharisiens prennent peur, s’effraient, discutent et ‘enfument l’affaire’ en cherchant les causes. Comme ils ne les connaissent pas, parce que personne ne les sait :
Ils font courir une rumeur
Ils supposentIls soupçonnent
Ils induisent le doute
Ils sèment la méfiance
Ils créent la défiance
Ils laissent entendre le pire
Ils discréditent…
En Jésus, ils redoutent un rival, il faut l’amoindrir. Alors ils parlent sans preuve, ils affirment, ils assènent : plus c’est gros… « mieux ça marche ! »
Leur regard est mauvais, leur langue épaisse, leur cœur fangeux. Leur inquiétude se transforme en aversion, leur affolement mange leur sérénité et les pousse à déparler, leur frayeur commence à engendrer la haine et donc la déraison. Ils accusent d’un pacte diabolique le ‘libérateur’ qui en se donnant donne la Parole.
Et pourtant ces pharisiens sont loin d’être de mauvais bougres, ce sont même des bons juifs pieux, ils n’omettent aucune règle de la religion. Ils s’efforcent de fuir le péché. Par contre, ils n’aiment pas les vagues et redoutent sans doute d’aller plus loin que la pratique de la loi. Tout ce qui n’est pas délimité les terrifie. Ils savent les prescriptions, ils les suivent, ils gardent ainsi la maîtrise de leur avenir, ils sont « canalisés » et sont certains d’en faire assez : ils sont « satisfaits », à l’abri de leur peur fondamentale : aimer sans mesure. Ils sont englués dans un système sacré qui dévore la liberté de la foi.
Pourtant certains échapperont au moule conformiste de l’appréhension et rejoindront Jésus : Gamaliel, Nicodème… et Paul de Tarse.
Pour suivre le Christ, il faut prendre le risque de quitter ses propres sécurités religieuses. Ce n’est pas pour rien que Jésus demande d’abord à Simon de « pousser » au large, là où il n’a pas pied et plus tard de « marcher sur les eaux agitées ». À la base de la conversion on trouve toujours la démarche de liberté de celui qui prend le risque d’aimer et d’inventer sa vie par amour avec Le Seigneur. Entrer en conversion se ramène à innover, à sans cesse évoluer, et ainsi prendre part au bonheur de créer de l’inédit et de l’inouï dans l’élan de Dieu en s’exposant à l’erreur et au péché.
Croire, c’est dans la pauvreté s’exposer aux dangers des faiblesses, des faux-pas, mais aussi c’est dans la foi accepter de vivre sous le regard miséricordieux de Dieu et des autres, c’est leur faire crédit :
ils n’appuieront pas sur nos plaies,
leur miséricorde nous guérira de nos langueurs et autres défaillances,
leur présence soutiendra notre marche et ouvrira de large espace,
leur lumière guidera nos pas,
leur respect nous donnera l’espace de l’épanouissement personnel,
leur solidarité soutiendra notre courage…
Nous, grâce à Dieu, nous demeurons pleinement humains, restons des fragiles capables de sublimité, c'est-à-dire nous sommes des vulnérables ouverts au pire et au somptueux ; telle est notre liberté.
Pour vivre et grandir nous avons besoin de confiance, celle que l’on reçoit, celle que l’on donne. Ce n’est pas le prince des démons qui nous fait « bien » entendre distinctement ceux et celles qui nous adressent la Parole, mais le Christ Serviteur, bonté de Dieu.
Il nous apprend que « faire crédit » à quelqu’un (ou à quelques-uns ou à quelques-unes) lui donne la chance de s’accomplir et, s’il se trompe, de surnager pour gagner un rivage.
Christian Montfalcon