La Réunion, île métisse depuis toujours
C’est par l’Histoire de ce morceau de terre de l’Océan Indien, dans l’Archipel des Mascareignes, que s’explique tout son métissage, depuis les origines. Mais ne nous méprenons pas sur le mot « origines » : cela ne nous renvoie pas dans la nuit des temps, mais...
AU XVIIe SIECLE SEULEMENT : AVANT 1642 IL N’Y AVAIT PERSONNE, sinon les poissons de l’Océan indien, les oiseaux du ciel (parmi eux, le dodo, depuis disparu) et autres animaux à poils et à plumes.
En gros, voici les composantes de la population, au fur et à mesure de leur arrivée dans l’Île :
12 hommes entre 1646 et 1649, puis huit entre 1654 et 1658, des Français accompagnés de Malgaches, d’autres Européens, des Africains, des femmes… un air de paradis pour cette « Île Bourbon ». Sa renommée s’étend, et à partir de 1663 deux colons français de Madagascar avec femmes et serviteurs viennent mettre en valeur cette terre.
- 1665, arrivée de colons « officiels », nomination d’un Gouverneur.
« Sur les 37 premières femmes de Bourbon, qui auront 44 maris et 254 enfants, 15 étaient malgaches, 15 indo-portugaises, 7 françaises. Leurs 114 filles, dont 88 métisses, auront 171 maris et 1176 enfants. Métissage, donc, dès l’origine » (Extrait du Guide encyclopédique de la Réunion, de Daniel Vaxelaire, aux éditions Orphie (2010), que nous vous engageons vivement à lire).
- à partir de 1848, arrivée de « Malbars », venant de l’Inde,
- vers la fin du XIXème s., des Indo-Musulmans (commerçants en menuiserie et tissus),
- au début du XXème s., des Chinois de la région de Canton (boutiquiers, alimentation),
- fin XXème et début du XXIème, les Comoriens et les Mahorais (Mayotte).
Ces arrivées successives n’ont pas eu le caractère d’invasions, l’Île n’est pas entourée de tours de défense comme La Corse. Les habitants n’ont pas eu à se défendre contre des envahisseurs. Donc, aucun groupe ne peut prétendre se définir comme étant « de souche ». Et il en résulte une assez grande tolérance, une cohabitation visible.
Actuellement, le métissage est présent à tous les niveaux : religieux, social, culturel, musical, linguistique, alimentaire, etc. Un couple, composé d’un Français « de souche » et d’une Comorienne nous a assuré qu’en France métropolitaine, un couple mixte comme eux ne passe pas inaperçu alors qu’à La Réunion on pourrait presque considérer qu’ils sont dans la norme. Ainsi, il est fréquent de rencontrer dans une même fratrie réunionnaise des dégradés de couleurs de peau allant du Chinois noir à des Cafres blonds ou roux.
Autre singularité de cette île, sur le plan religieux : les édifices cultuels ont tous la même visibilité, église, mosquée ou temple Tamoul se côtoient et se partagent l’espace sans que l’un prédomine sur l’autre, le minaret surplombe Saint Pierre à la même hauteur que le sommet coloré du temple dédiée aux divinités hindoues. À l’occasion de certaines fêtes religieuses, dont la spectaculaire « Fête de la Lumière » tamoule appelée Dipavali, toute la population participe : celui-ci affiche un gilet multicolore et tissé, ces petites filles des tenues chatoyantes et colorées (il faut dire que les manifestations des autres religions sont moins démonstratives)… En ville, on peut entendre dans la journée l’appel du muezzin, les cloches de l’église, les tambours malbars (hindous), sans aucune protestation de la population. Dans la rue principale de Saint-Denis (ville chef-lieu), la cathédrale, la mosquée, le temple tamoul sont présents et visités parfois même successivement par certains fidèles (syncrétisme religieux). La télévision, bien avant la métropole, proposait des émissions sur les événements religieux de l’année. Les sectes et les mouvements minoritaires de plusieurs religions sont très présents et ont « pignon sur rue ».
Multiples sont les types physiques et leur habillement. Cela est particulièrement frappant lors de la « Messe de minuit » de Noël, en pleine saison chaude !
En cuisine, les influences de toutes les cultures se font sentir aussi bien à la maison que dans les menus des restaurants et des nombreux traiteurs, lesquels occupent souvent de simples « boutiques ». On peut composer son repas familial en achetant au dernier moment quelques-unes de ces portions.
Nous est-il permis d’inclure ici le grand mélange des cultures de légumes et de fruits, mélange dû aux 120 micro-climats, du tropical sec au tempéré, depuis les endives, les pommes, pêches et prunes, avec bien sûr les bananes, ananas, noix de coco… tout pousse, mais oliviers et cerisiers n’ont pas de fruits. À noter des apports « exotiques » venus de France ou de Chine et, profitant des conditions climatiques des moyennes altitudes : vaches, platanes…
En musique, en plus des chants et danses particuliers à chaque groupe, deux genres spécifiques se sont fait jour dans l’Île, et sont pratiqués actuellement : d’une part le Maloya, rythme de percussions et chants issus de l’esclavagisme, rappelant un peu le blues (à noter qu’il était clandestin jusqu’en 1981) ; il ne comporte pas de partitions. Une autre musique est le Sega, d’influence européenne, musique de réjouissances, avec partitions écrites.
Rien n’est parfait… Le métissage a ses limites
Des zones de communautarisme existent : les Chinois, les indo-musulmans (« z’arabes ») affichent une solidarité forte.
Même au niveau inconscient, des pages de l’histoire de l’Île sont masquées, la période de l’esclavage par exemple, malgré la présence de descendants d’esclaves. Ce n'est que depuis une trentaine d'année que la mémoire de l'esclavage est revisitée et consolidée.
Et, là comme ailleurs, existe un rejet relatif des derniers arrivés : les Comoriens et les Mahorais (immigrés de Mayotte).
Les Cafres, un cas particulier : ce sont des noirs. Leur ascension sociale est en cours mais lente. Ce sont les plus mal lotis.
Voici deux exemples de familles réunionnaises actuelles (2010)
Elle est née en Belgique, d’une mère italienne et d’un père belge, elle a rencontré en vacances un Réunionnais, il l’a rejointe dans son pays. Deux petites filles naissent de cette union, le retour au soleil les tente. Leurs filles grandiront dans l’hémisphère sud.
Un couple mixte européen/comorien ; tous deux, nés à Marseille, ont habité Marseille, puis La Réunion. Les parents du mari sont niçois et corse, vivant à Marseille. Les parents de l’épouse sont comorien et martiniquais, ayant vécu à Marseille. Le couple actuellement réunionnais a un enfant. On remarquera – simple coïncidence ? – que cet enfant « descend » de personnes originaires de 3 îles (Comores, Martinique, Corse) et qu’il est né dans une 4e île (La Réunion). Bel héritage pour un solide métissage !
Cet enfant concentre en lui tout
le métissage construit ci-dessus.
Souhaitons qu’il participe et contribue au vivre-ensemble harmonieux
que tous les témoins observent à propos de
cette « Île intense »,
où même le volcan se manifeste doucement… .
J.-P. R.