La résurrection, renversement des valeurs
La fête de Pâques constitue le cœur de la foi chrétienne. Non pas comme l’heureux dénouement d’une histoire où « les bons » finissent par triompher des « méchants », mais comme l’accomplissement du renversement des idoles qui ne cessent de mutiler l’homme et qu’il appelle Dieu.
Il y a un an s’est tenu au théâtre du Chatelet à Paris un colloque intitulé Figures du Messie à l’occasion des représentations du Messie de Haendel, dans la version de Mozart et une mise en scène de Oleg Kulig 1. Lors d’une de ces représentations Michel Serres a prononcé quatre interventions 2 qui vont au cœur du message de Pâques :
« Le Christ ressuscita, disent les Écritures (…) Le crucifié se fit victorieux de la mort, non de ses bourreaux. Non seulement l’Innocent innocente les anciens boucs émissaires, mais il pardonne aussi à ses accusateurs. La victoire ne se gagne plus sur la précédente défaite, comme une revanche sur des adversaires, comme une vengeance, mais sur cette chose immonde, la mort. Rien sur les hommes, tout sur la mort. Pas de vendetta indéfinie : prescription immédiate sur le crime et sur le châtiment. Point final. »
Aucun renversement des valeurs annoncé par les esprits les plus critiques n’est aussi radical que celui-là. Dès lors, célébrer Pâques ne se réduit pas à la congratulation collective de ceux qui célèbrent une victoire. C’est un appel à entrer dans cette subversion des valeurs de ce que l’Évangile de Jean appelle « le monde ». Michel Serres poursuit ainsi sa méditation :
« Échec ou réussite de ce crucifix ? Cela dépend de nous. Voulons-nous d’un pouvoir sans mort ? D’une justice sans mort ? D’une histoire et d’une société sans mort ? (…) Innocent, le Messie annonce la Nouvelle la plus décisive pour notre hominisation. L’entendons-nous ? »
Or, trop souvent, le Christianisme, comme tant de religions, a préféré, écrit Michel Serres, « obéir au réflexe social, monotone et permanent, mortel en somme, de crier : gloire au Tout-Puissant, au Roi des Rois, au Seigneur des Seigneurs, pour redresser sans cesse l’échelle fatale de la hiérarchie et du spectacle, pour jucher haut, encore et encore, les gagnants, dominants animaux et sanglants ».
À lire la célébration des gagnants en tout genre qui débordent de nos magazines, comment ne pas comprendre notre surdité au message de Pâques : « À cette vie nouvelle, continue Michel Serres, nous préférons toujours le vieux règne répétitif de la comparaison, de la hiérarchie, de la puissance et de la gloire, c’est-à-dire de la mort. Nous ne voulons pas ressusciter. Nous ne croyons pas à la Résurrection, alors que ressusciter veut dire : se délivrer de ses rivalités, sortir de la vieille histoire, d’une société construite sur la mort ».
Dans l’Évangile, ce sont d’humbles femmes et non de médiatiques déclarations de notables religieux qui annoncent le pas décisif pour l’histoire de l’humanité. La crise qui mine actuellement nos sociétés donne encore plus de relief à ce choix que Michel Serres définit par ces mots : « Ici et aujourd’hui s’ouvre à nouveau le carrefour entre la mort et l’immortalité. D’un côté, nos sociétés de concurrence et de comparaison, de richesse et de misère, de mort, de l’autre, la nouveauté de la Résurrection ».
Bernard Ginisty
1 – Le 15 mars 2011 s’est tenue une journée de rencontres sur le thème Figures du Messie à l’occasion de la représentation du Messie de Haendel au théâtre du Chatelet, du 14 au 20 mars 2011. Lors de ce colloque se sont exprimées un certain nombre de personnalités dont, entre autres, René Girard, Michel Serres, Bernard Sichère, Sylvie Germain, Jean-Claude Guillebaud, Florence Delay. Benoît Chantre, organisateur de cette manifestation a publié ces interventions dans un ouvrage intitulé Figures du Messie, Éditions Le Pommier, 2011
2 – Michel Serres : Ce Verbe qui ne parle pas. Quatre interventions au Théâtre du Châtelet précédées de Haendel et Le Messie. Op. cit. pages 10-24