La pensée politique : du degré zéro à la métamorphose ?
Les dernières élections cantonales ont connu un record d’abstention. Des spécialistes nous ont proposé différentes explications : le temps ensoleillé du week-end, l’absence de perception de l’utilité des Conseils Généraux ou le désenchantement, aussi bien à droite qu’à gauche, vis-à-vis des leaders politiques. Au delà de cette analyse conjoncturelle s’impose le constat d’une crise croissante du rapport entre les citoyens et la « chose publique ».
Au cours du XXe siècle, deux grandes options « politiques » ont été proposées aux citoyens. L’une, s’appuyant sur l’idée de croissance indéfinie et de foi dans les capacités des sciences de résoudre les problèmes conduisait à faire accepter le « despotisme éclairé » des experts. L’autre, au nom d’une analyse du sens de l’histoire, invitait à une révolution qui « du passé fasse table rase » pour construire un monde nouveau. Or nous devons constater qu’aussi bien la foi scientiste des experts que l’espérance messianique des révolutionnaires ne font plus recette. Au lieu du monde réconcilié par la croissance des richesses ou la dictature du prolétariat, les barbaries sont toujours présentes.
Dans son dernier ouvrage intitulé La Voie. Pour l’avenir de l’humanité, Edgar Morin développe une analyse qui peut nous aider à inventer de nouveaux paradigmes de l’action publique. Constatant l’échec des promesses tant technocratiques que révolutionnaires, il fait ce constat amer : « Deux barbaries se trouvent plus que jamais alliées : la barbarie venue du fond des âges historiques, qui mutile, détruit, torture, massacre ; et la barbarie froide et glacée de l’hégémonie du calcul, du quantitatif, de la technique, du profit sur les sociétés et les vies humaines » 1.
Face à cette situation Edgar Morin dénonce la faillite de la pensée politique : « La pensée politique en est au degré zéro. (…) La classe politique se satisfait des rapports d’experts, des statistiques et des sondages. (…) Privée de pensée, elle s’est mise à la remorque de l’économie. Comme le disait Max Weber, l’humanité est passée de l’économie du salut au salut par l’économie » 2.
C’est autour de l’idée de métamorphose qu’Edgar Morin s’efforce de proposer une pratique politique qui ouvre des chemins qui échappent à ces barbaries. « C’est dans la métamorphose que se régénèreraient les capacités créatrices de l’humanité. La notion de métamorphose est plus riche que celle de révolution. Elle en garde la radicalité novatrice, mais la lie à la conservation (de la vie, des cultures, du legs de pensées et de sagesses de l’humanité). On ne peut en prévoir ni les modalités ni les formes : tout changement d’échelle entraîne un surgissement créateur » 3. Pour aller dans cette voie, il énonce ce qu’il appelle ses « principes d’espérance » 4 : le surgissement de l’inattendu, les possibilités régénératrices inhérentes à l’humanité, les vertus de la crise qui oblige à des options longtemps différées et enfin l’aspiration millénaire de l’humanité à l’harmonie.
Notre avenir commun dépendra de notre capacité de percevoir des signaux faibles venant souvent de personnes « exclues » ou marginalisées et de faire confiance à la capacité créatrice enfouie en chaque être humain, par laquelle, pour les croyants, « l’homme est à l’image de Dieu ».
Bernard Ginisty
1 – Edgar Morin : La Voie. Pour l’avenir de l’humanité. Éditions Fayard, 2011, page 29
2 – Id. page 46-47
(3 – Id. page 32
4 – Id. page 298