La Parole entre les hommes

Publié le par G&S

L’histoire philosophique de l’Occident commence non par le traité d’un penseur en chambre méditant sur l’odyssée de l’esprit, mais par les Dialogues de Platon tenus dans les jardins d’Académie. C’est autour de l’existence et de la mort de Socrate, qui n’a rien écrit, que la pensée occidentale, à travers ces Dialogues, ouvre son histoire.

L’origine de ces deux grands ébranlements de l’esprit occidental passe par la confrontation de points de vue à partir de la vie et de la mort d’hommes perçus comme exceptionnels. Dans le débat avec leurs contemporains, ces êtres ont préféré être victimes de la violence que de l’exercer.

Depuis lors, les institutions scolaires ou religieuses ne cessent d’avoir la tentation de clôturer l’expression de ces ébranlements à travers des « pensées uniques ». À l’appel à la responsabilité de devenir sujet de sa parole dans un échange allant du dialogue à l’amour, les pouvoirs institutionnels tentent de substituer des savoirs clos qu’ils peuvent contrôler.

Nous sommes là au cœur de la problématique de l’évolution de nos sociétés. L’égalité de la « voix » de tous dans le débat public, quel que soit son niveau de richesse ou de savoir (c’est le sens du suffrage universel non censitaire, que le cens soit l’argent ou le diplôme) fonde la démocratie. Chaque point de vue est reconnu comme ayant une valeur a priori. Non, pas valeur en termes d’expertise, mais de capacité de sens.

Cela suppose un rapport non violent entre les humains.

Pour le philosophe Emmanuel Levinas, l’acte fondateur de la possibilité de penser c’est le « tu ne tueras pas » de la Bible. On ne discute pas pour arrêter la violence, car la discussion est impossible tant que règne la violence, mais on décide d’arrêter la violence pour ouvrir un espace à la discussion.

De même que tous nos projets humains sont seconds par rapport au don de naître, de même la pensée est seconde par rapport à la décision de ne pas tuer l’autre.

La vie spirituelle consiste essentiellement à lutter contre l’oubli de ces ouvertures premières. À partir du moment où l’être renonce à la violence pour gérer le vivre ensemble et se tient dans sa capacité permanente à naître, l’espace politique ouvert ne peut être que celui de l’éthique de la discussion. En effet, dire que chaque être humain est porteur de signification ne veut pas dire que tout se vaut et qu’il suffit d’une vague tolérance pour que vive une société. Il s’agit d’un engagement, parfois douloureux, dans la confrontation avec l’autre par des personnes ayant renoncé à la violence pour surmonter leurs conflits et décidées à inventer ensemble un espace public plus humain.

La crise que traversent nos sociétés ne cesse de susciter une angoisse qui peut devenir source de violence. Plus que jamais, il nous appartient de faire vivre cette Parole entre les hommes qui peut seule nous préserver de la barbarie.

Bernard Ginisty

Publié dans Réflexions en chemin

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R
<br /> Ces réflexions sont certes pleines de sagesse mais cetains passages suscitent chez moi des réflexions secondaires en cascade.<br /> <br /> <br /> Tout d'abord, la violence est dans la nature même de l'Homme, davantage que chez beaucoup d'animaux, du fait même de son "intelligence" et de sa capacité à engendrer des névroses et des psychoses<br /> que des êtres plus frustes et moins doués de mémoire connaissent moins.<br /> <br /> <br /> Ensuite, les limites de la démocratie à travers le suffrage universel : "l'égalité de la voix de chacun dans le débat public"...  Le pouvoir exécutif n'a jamais tenu à soumettre la<br /> suppression de la peine de mort au référandum. On sait ce qu'il en aurait été. Tout comme le pouvoir actuel sur le "mariage pour tous".  On peut donc se poser ici la question de savoir si le<br /> vote au second degré à l'américaine n'est pas plus sage que le suffrage direct, davantage soumis aux modes et aux emportements passagers ?<br /> <br /> <br /> Et enfin, le TU NE TUERAS POINT du décalogue.  On sait que ce dernier suscite beaucoup de réflexions ces dernières années chez des philosophes, des théologiens, des sociologues, des<br /> politiques...tant on est à la recherches de valeurs universelles qui pourraient être acceptées par tous.  Mais on sait les vives réactions des uns et des autres lorsqu'on voit à quel point<br /> ce commandement a toujours été, et est encore aujourd'hui dévoyé.<br /> <br /> <br /> Pour ma part, je ne cesse d'être stupéfait de constater qu'après que l'Europe des 27 ait accepté la suppression de la peine capitale pour un violeur de jeune enfant puis sa transformation en<br /> assassin par calcul; et dans le même temps les décisions successives, prises sans sourciller, que nous avons connues et approuvées depuis un siècle, de déclancher des opérations militaires qui,<br /> en dehors des milliers, des millions, de soldats sacrifiés, impliquent obligatoirement (surtout avec les moyens de destruction actuels) une majorité de victimes civiles parfaitement innocentes<br /> ! <br /> <br /> <br /> Aussi, on ne peut s'empécher de se reposer inlassablement le question, dans une société reposant sur des racines judéo-chrétiennes.<br /> <br /> <br /> Et là, surprise, les Juifs et les Chrétiens n'ont pas la même traduction. Dans le Judaïsme on dit :TU NE COMMETTRAS POINT DE MEURTRE.   La nuance est de taille !!!<br /> <br /> <br /> Je ne suis pas théologien et encore moins expert en Hébreux ancien mais j'ai une certaine tendance à penser que les théologiens juifs sont plus qualifiés pour lire les tables de la loi. Non ?<br /> <br /> <br /> Robert Kaufmann<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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