La parole écoutante et la raison sourde
« Croyants (ou non), passons ailleurs pour tout sauver ! »
Depuis des lustres, Maurice Bellet 1, à travers une œuvre philosophique, théologique et littéraire très importante, ne cesse de nous inviter à retrouver les questions les plus originaires et les plus fondamentales qui évitent à l’humanité de sombrer dans l’angoisse ou le chaos. Pour cela, il ne cesse de débusquer les faux dilemmes dans lesquels s’enferme trop souvent la pensée et qu’orchestrent sans beaucoup de retenue les medias. Plus fondamentalement, Maurice Bellet nous invite à retrouver une parole qui ne soit pas d’emblée colonisée par des institutions et prétendrait s’abstraire de toute relation. Combien de discours théoriques ont sombré dans cette illusion d’atteindre des certitudes qui toiseraient de haut toute relation humaine.
En octobre 2010, sous l’égide de l’Université Paul Sabatier de Toulouse, fut organisé un colloque en l’honneur de Maurice Bellet. Le but de cette rencontre était de lui permettre de confronter ses réflexions sur la rigueur de la pensée avec celles d’universitaires spécialistes de différentes sciences. S’appuyant sur sa pratique de la psychanalyse, Maurice Bellet introduisit le débat par la remarque suivante : « Comment se fait-il que des gens qui ont la même formation dans la foi, la théologie, une spiritualité se mettent à découvrir, par exemple à l’occasion d’une psychanalyse, que le Dieu qu’ils ont aimé et prétendu servir est un Dieu sadique ? J’ai rencontré cette expérience là un certain nombre de fois. C’est troublant. C’est comme si la vertu de la doctrine dont on peut penser qu’elle est vraie était devenue fausse, précisément parce qu’elle est dite dans une relation qui est elle-même fausse ». Face à la prétention d’une pensée religieuse qui « considérait qu’elle pouvait exister déconnectée du contexte relationnel dans lequel elle fonctionnait », Maurice Bellet propose la relativité relationnelle comme « un effort de rigueur par rapport aux illusions que se fait le langage doctrinaire » 2. Il y a une vingtaine d’années, il avait déjà analysé cette prétention intellectuelle mortifère dans un de ses ouvrages majeur : Critique de la raison sourde 3.
Dans son dernier livre intitulé : Translation, il développe ce thème de façon magistrale. Pour lui, il s’agit d’échapper au « conflit où la modernité se déchire : entre esprit doctrinaire et relativisme. C’est à dire entre deux prétentions : à un savoir établi, qui juge de tout, à une position supérieure qui… juge de tout » 4. Pour cela, il invite à la pratique de « la parole écoutante » qui s’affranchit des présupposés de culture, d’appartenance ou de conviction pour entrer dans une écoute authentique qui ne sait pas d’avance où va conduire l’échange. On ne saurait trop conseiller aux pédagogues et aux différents conseillers psychologiques ou spirituels de méditer ces lignes qui définissent cette « parole écoutante » :
« Ce n’est pas une parole définie par un lieu particulier : religion ou théologie, philosophie, science, etc. En un sens, c’est une parole pauvre, extrêmement démunie, d’une nudité de naissance. Mais c’est aussi bien sa richesse et sa puissance. Car elle présuppose le plus grand. Elle présuppose en l’autre la capacité à entendre ce qui sera son éveil même ; et par une capacité qui dépasse ce que celui qui lui parle peut connaître ou même pressentir » 5.
Bernard Ginisty
1 – Cf. le site de Maurice Bellet : http://www.mauricebellet.eu/v1/
2 – Compte rendu du colloque organisé le 1er octobre 2010 publié par le GREP-Midi Pyrénées (http://www.grep-mp.fr). Ce colloque réunissait autour de Maurice Bellet : Alain Blanchard, Astrophysicien, Philippe Durand, Physique Quantique, Jean-Paul Gélugne, Généticien, Guy Hennécart, Mathématicien, José-Philippe Perez, Relativité et Quantique, Jacques Perié, Chimie-Biochimie, Jacques Richaud, Neurosciences
3 – Maurice Bellet : Critique de la raison sourde. Éditions Desclée de Brouwer, 1992
4 – Maurice Bellet : Translation. Croyants (ou non), passons ailleurs pour tout sauver. Éditions Bayard, 2011, page 30
5 – Idem page 60