La mort en Islam
Je ne suis pas un spécialiste de l’islam. J’aime me présenter comme un vulgarisateur : ce terme n’a rien, à mes yeux, de péjoratif ; c’est une manière de souligner que je suis un homme de terrain ; j’ai des notions d’arabe dialectal maghrébin, d’arabe coranique et d’islamologie ; j’ai vécu 15 ans en Algérie ; j’ai fréquenté quelques pays où l’islam est très présent. J’ai le bonheur d’avoir des amis musulmans !
Une grande différence existe entre l’islam comme structure politique et religieuse, d’une part et les musulmans que je côtoie, d’autre part : une chose, les structures, une autre, les personnes ; même si est lancinante pour moi la question de savoir comment une structure qui me paraît souvent bien rigide est cependant à même de permettre des expériences spirituelles aussi exceptionnelles que celles des femmes et des hommes musulmans que je suis amené à rencontrer.
Je ne prétends pas tout dire sur « la mort en Islam » : je m’inspire de ce que je connais de l’islam sunnite, et plus particulièrement de rite Malékite. C’est dire que, sur ce sujet, il faudrait apporter de nombreuses nuances suivant que l’on traite du sujet dans l’islam Chi’ite, Sunnite, Kharidjite d’une part, et suivant les diverses écoles théologico-juridiques, d’autre part. Quant aux rites funéraires, ils sont très divers selon les cultures ; je n’en traiterai pas ici.
Je me propose de « raconter » d’abord la manière, somme toute commune, dont les musulmans que j’ai rencontrés parlent de la mort. Dans un deuxième temps, je reviendrai, en m’appuyant sur le Coran et la Sunna sur quelques thèmes essentiels : la mort, le jugement dernier, l’enfer, le paradis ; bref, ce qu’il en est de l’eschatologie dans la religion musulmane.
Pour tout musulman, de même qu’il y a une forme de vie avant la vie, il y a une vie après la vie ! La mort constitue la fin de notre passage dans ce monde précaire. En islam, il existe donc une autre forme de vie après la mort, de même qu’il existait une vie avant notre naissance. Comme il est impossible de demander à un fœtus d’imaginer le monde dans lequel il va naître, il nous est difficile d’imaginer un autre monde que le monde précaire dans lequel nous vivons.
Notons par ailleurs que l’islam enseigne que l’être humain est le Khalife, (mot à mot, le lieu-tenant de Dieu) : la terre a été confiée à Adam, mais un ennemi, Satan, vient tendre des pièges aux hommes pour les détourner du droit chemin et les entraîner en enfer.
Heureusement, Dieu a envoyé des « prophètes » ; ces derniers sont chargés de montrer à l’homme comment il doit adorer, comment il doit servir, comment il doit déjouer les pièges tendus par Satan. Parmi les prophètes, il y a ceux qui ont aussi apporté un livre, comme Moïse, Jésus, et bien sûr, Mohammed ; mais il y a eu aussi une foule d’autres prophètes.
L’homme est donc vicaire, lieutenant de Dieu sur terre, mais il est khalife responsable de ses actes : la manière dont l’homme aura géré sa vie terrestre aura une influence directe sur la vie future dans l’au-delà.
Quelle est la chronologie de la mort ?
L’heure de la mort est connue de Dieu seul ; c’est lui qui la décrète. À ce moment-là, l’ange de la mort vient séparer l’âme du corps ; certes, nous restons pour ainsi dire conscients et nous voyons, mais il ne nous est plus possible d’agir : nous n’avons plus le choix entre le bien et le mal ; c’est comme si nous assistions impuissants à nos propres funérailles et comme si nous voyions la tombe se refermer sur nous.
Viennent alors deux anges. Face à leurs questions, il est impossible de mentir ou de répondre à côté. Des réponses faites dépend la suite ! Le bon musulman est protégé du châtiment de la tombe ; mais l’hypocrite expie ses péchés dans la tombe ; certes, je peux bénéficier des bienfaits que les vivants font pour moi (prière, pèlerinage, etc.)… Mais !
Ce monde des morts est lui-même précaire ; il se termine à la fin des temps, quand Dieu décide la Résurrection dans une nouvelle création qui commence donc par le jour du jugement dernier. Ce jour-là, l’ange Asrafil soufflera dans une trompette qui ressuscitera tous les hommes : nous serons tous en un même lieu ; le soleil se fera tout proche et très chaud ; nous transpirerons, chacun d’ailleurs en fonction de ses bonnes ou mauvaises actions. Chaque communauté demandera à son prophète d’intercéder auprès de Dieu. Et tous se tourneront alors vers Mohammed qui aura la faveur d’une requête pour ce jour-là. Il s’adressera à Dieu et lui demandera de commencer le jugement. Chacun passera individuellement devant le Créateur ; les anges chargés des écritures où sont inscrits nos actes durant notre vie seront là. Chacun verra, en quelque sorte, ce qu’il a fait : l’ange de gauche pour les mauvaises actions et l’ange de droite pour les bonnes œuvres.
Puis les hommes passeront sur un pont au dessus de l’enfer et qui conduit au Paradis. Ceux qui ont fait beaucoup de bien le passeront en un clin d’œil alors que les pécheurs progresseront difficilement, certains trébuchant et tombant dans le feu de l’enfer.
Ceux qui arriveront au Paradis découvriront un monde merveilleux qui n’obéira pas aux mêmes lois que celles de ce monde matériel. Il est impossible de le décrire et de l’imaginer. Mais chacun aura un corps nouveau éternellement jeune avec des signes distinctifs qui le feront reconnaître par ses contemporains d’ici-bas.
On le voit : la vie du musulman est marquée par l’omniprésence de la mort. La conscience du déroulement exact de la mort et surtout la conscience d’être jugé pour chacun de nos actes agit comme un aiguillon qui pousse le croyant à se remettre en question et à faire constamment le bien. Certes, le musulman garde toujours l’espoir d’être pardonné en se repentant ; mais la crainte du châtiment est un garde-fou puissant lorsqu’on est tenté par Satan. Au demeurant, serviteur actif de son Créateur, le musulman construit une société de paix, de justice et de fraternité, même si l’angoisse de la mort est un moteur au service du bien.
Ce que disent les textes sacrés
Ce premier récit, commun à bien des musulmans au sujet de la mort, m’autorise à approfondir quelques aspects importants ; je le fais en m’appuyant sur le Coran et sur les Hadiths. Je soulignerai donc quelques aspects importants :
Dans l'optique de l'islam, la mort constitue moins une conséquence du péché que le moment fixé à l'homme par Dieu pour entamer son retour vers lui, qui l'a par ailleurs amené à l'existence : « C'est alors que s'effectuera votre retour vers votre Seigneur » (6,164).
La mort est inéluctable : personne ne peut y échapper. Tout le monde mourra un jour : « Nous avons établi la mort pour vous. Et personne ne peut nous circonvenir (et nous empêcher) de vous remplacer (par vos semblables) et de vous faire naître dans un état que vous ne connaissez pas » (56,60-61). La mort frappe tous les hommes, quel que soit l'endroit où ils aient pu se retirer : « Où que vous soyez, la mort vous atteindra, même si vous étiez dans des châteaux altiers » (4,78). « Dis : La mort que vous fuyez vous atteindra » (62,8). La mort est donc l'éternelle compagne de l'humanité. C'est Dieu lui-même, le maître de la vie et de la mort, qui en a décidé ainsi « pour vous éprouver (et déterminer) qui d'entre vous se conduit le mieux » (67,2). Personne donc ne vit éternellement : « Tout homme subira » (21,35).
La Tradition musulmane décrit en détail les événements qui se situent entre la mort et la résurrection. L'ange de la mort se voit attribué un rôle important dans ce contexte. Le Coran dit à son propos : « Dis : L'ange de la mort auquel vous êtes familier vous rappellera. Vous serez alors ramenés vers votre Seigneur » (32,11). Cette mission peut également être effectuée par d'autres anges (16,28.32-33).
Toujours selon la Tradition, c'est à l'ange de la mort qu'il incombe de dissocier l'âme du défunt de son corps et de l'amener au ciel. Si elle fait partie des justes, elle s'y entend dire que Dieu lui a pardonné tous ses péchés et l'a destinée au Paradis, puis elle regagne à nouveau son corps sur terre. En revanche, l'âme qui est du nombre des damnés est refoulée jusqu'à la porte inférieure du ciel et rejetée sur la terre, d'où les anges qui gardent l'Enfer l'emmènent jusqu'au lieu où sont rassemblés les damnés.
Le jugement intermédiaire céleste est suivi par un interrogatoire au tombeau, une fois que le cadavre a été inhumé. Selon la Tradition, nous l'avons vu, les défunts sont alors questionnés sur leur foi de la manière suivante : « Qui est ton Dieu ? Quel est ton Prophète ? Quelle est ta religion ? Dans quelle direction pries-tu ? ». S'il fournit les réponses correctes, le mort est pris en charge par les anges Moubachar (bonne nouvelle) et Bachir (messager du bonheur) qui le consolent et lui apprennent qu'il est promis au Paradis (41,31).
En revanche, un défunt qui fournit des réponses incorrectes commence à être tourmenté dès la tombe : les anges Mounkar (condamnable) et Nakir (négatif) lui frappent le visage et le dos avec des massues de fer (47,27).
Le " jugement dernier "
Après l'interrogatoire au tombeau commence l'attente du jugement final, qui doit se dérouler au Dernier jour. Durant ce laps de temps les âmes se trouvent dans un état comparable au sommeil d'un ivrogne. Lorsqu'arrive enfin le Dernier jour, il leur semble qu'elles n'ont « passé qu'une heure de la journée (au tombeau) » (10,45) ou « seulement une soirée » ou « le matin suivant » (79,46), voire « rien que dix nuits » (20,103). Le Jugement dernier peut alors commencer.
Pour ce jugement-là, le Coran et la Sunna mentionnent divers moyens d’évaluation de l’importance des bonnes et des mauvaises actions accomplies par l’homme au cours de son existence terrestre, les livres où sont consignés les actes des hommes : « Un livre se trouve près de nous ; il exprime la vérité : les hommes ne seront pas lésés » (23,62), la balance céleste, garante de la rectitude et de la justice : « Dieu est celui qui fait descendre, en toute Vérité, le Livre et la Balance. Qui donc te renseignera ? L’heure est peut-être proche » (42,17), et le pont étroit, qui mène du lieu du jugement à la porte du Paradis en passant par l’enfer. De son propre arbitre, Dieu prononce ensuite le verdict définitif : « La parole chez moi ne change pas. Je ne suis pas injuste envers mes serviteurs » (50,29).
Lieux de la rétribution éternelle, le Paradis et l’enfer voisinent avec l’Araf, un état intermédiaire dans l’au-delà vers lequel sont dirigés les hommes dont les bonnes et mauvaises actions se compensent et s’annulent mutuellement…
Le paradis offrira « tout ce que l’âme désire et est un délice pour les yeux » (43,71) ; c’est dans ce jardin de délices que sont comblés les désirs de ceux qui ont été appelés à la félicité de par leur foi et leur bonne conduite : « Oui, les Jardins du délice sont destinés à ceux qui auront cru et qui auront accompli des œuvres bonnes ; ils y demeureront éternellement » (31,8). Innombrables sont les descriptions des habitants du paradis. Ils sont parés de vêtements de prix, de bracelets et de perles. Ils peuvent se détendre à loisir. Leurs relations avec les houris, vierges du paradis font de la récompense paradisiaque une joie indescriptible. Elles ont de grands yeux noirs, que le blanc qui les entoure fait ressortir encore davantage (37, 48 etc.), elles ont les seins arrondis (78, 33) et le regard chaste… En outre, des éphèbes circulent au service des élus, « portant des cratères, des aiguières et des coupes remplies d'un breuvage limpide » (56, 18). La félicité suprême sera la vision de Dieu : « Ce jour-là, il y aura des visages brillants qui tourneront leurs regards vers leur Seigneur » (75,22-23)
Quant à l’enfer, c’est le lieu des damnés : « Ce jour-là, ils seront brutalement dans le feu de la Géhenne : voici ce feu que vous traitiez de mensonge », « Est-ce donc de la magie ou ne voyez-vous rien ? Affrontez-le ou ne le supportez pas, cela revient au même pour vous. Vous êtes rétribués pour ce que vous avez fait » (52,14-16). Alors que les incroyants sont voués à l’enfer, les pécheurs croyants (c'est-à-dire musulmans !) pourront entrer au paradis une fois leur peine expiée…
Retenons de tout ceci l’importance de l’eschatologie musulmane : avec la doctrine de l’unicité et de la toute puissance du Dieu Créateur, la croyance à la fin du monde, au jugement eschatologique et à la vie après la mort fait partie des affirmations centrales du message de Mohammed.
Alain Feuvrier