La mémoire humaine
Aspect physiopathologique
La mémoire est l'une des fonctions les plus importantes du cerveau. Elle construit aussi bien l'identité, les connaissances, l'intelligence, la motricité et l'affectivité de chacun de nous.
Quelle fonction a la mémoire ?
La mémoire sert à mettre en relation l’individu avec le monde extérieur : c'est la fonction qui permet de capter, coder, conserver et restituer les stimulations et les informations que nous percevons.
Le système nerveux central, qui en est responsable, n'est pas une structure figée. La plasticité cérébrale est le facteur d'émergence de nombreuses propriétés cérébrales, dont l'apprentissage et la mémoire ; elle est d’une flexibilité considérable.
À la naissance, la moitié seulement des interconnections des neurones existe; le reste est acquis au cours du développement du cerveau de l’enfant puis de l’adulte.
Grâce aux avancées technologiques, des progrès dans la connaissance et la compréhension du mécanisme physiologique de la mémoire ont été obtenus. Le but de ce document est d’exposer les explications les plus récentes concernant la mémoire. Seront d’abord décrites les différentes formes connues de la mémoire, selon une classification qui a été repensée en fonction des nouvelles connaissances du mécanisme cérébral de la mémoire. Ces mécanismes seront ensuite sommairement présentés. Cette partie un peu plus technique sera suivie par la description des principales pathologies touchant la mémoire reliée aux mécanismes nouvellement évoqués.
1/ Les différentes formes de mémoire
Les systèmes de mémoire le plus souvent retenus par une grande partie des chercheurs en neuropsychologie sont les suivants :
1 - La mémoire sensorielle est la mémoire automatique, fruit de nos capacités perceptives, s'évanouissant généralement en moins d'une seconde, mêlant les cinq sens, elles nous aident à reconnaître un décor, un visage une odeur, des sonorités… fonctionne à l’insu des individus.
2 - La mémoire à court terme (ou mémoire immédiate) dépend de l'attention portée aux éléments de la mémoire sensorielle. Elle permet de garder en mémoire une information pendant moins d'une minute environ et de pouvoir la restituer pendant ce délai.
La mémoire de travail (mémoire tampon), Baddeley 1992 est une extension plus récente au concept de mémoire à court terme. Elle se caractérise comme permettant d'effectuer des traitements cognitifs (de la pensée) sur les éléments qui y sont temporairement stockés. Elle serait donc plus largement impliquée dans des processus faisant appel à un raisonnement, comme lire, écrire ou calculer par exemple, c’est-à-dire de retenir une information instantanée pendant 20 à 30 secondes. Elle permet de gérer les situations présentes comme prendre un numéro de téléphone et le garder en tête quelques secondes ou retenir une conversation sur le moment.
Mais il n'y a pas de ligne de démarcation claire entre une pensée et un souvenir. La mémoire de travail est donc un concept mis en avant pour tester des hypothèses susceptibles de mieux cerner ce phénomène complexe.
3 - La mémoire à long terme fait appel à différentes sortes de mémoire qui nous permettent de maintenir des informations plus longues.
Elle se compose de la mémoire explicite ou déclarative qui est la mémoire du « savoir que » et de la mémoire implicite qui est la mémoire du « savoir comment ».
a) la mémoire explicite ou déclarative formalisée par Squire (1994) et Anderson (1991) se compose de la mémoire épisodique et de la mémoire sémantique :
- la mémoire épisodique est la mémoire des événements vécus, mémoire des souvenirs, mémoire autobiographique. Elle permet à un sujet de se rappeler les événements qu'il a personnellement vécus dans un lieu et à un instant donné. L’individu se voit en tant qu'acteur des événements mémorisés. Par conséquent, le sujet mémorise non seulement un événement qu'il a vécu, mais tout le contexte particulier de cet événement.
Nous n’avons pas réminiscence des souvenirs de notre jeune enfance. Cela parce que l’enfant ne forme pas de véritables souvenirs épisodiques, alors que c'est paradoxalement l’âge où il acquiert beaucoup de connaissances. Ce phénomène est attribué, du moins en partie, à l'absence de langage et à l'immaturité d’une catégorie du cortex et d'autres structures cérébrales.
- la mémoire sémantique est le système par lequel l'individu stocke sa connaissance du monde et la construction de sa représentation mentale. Une grande partie de cette mémoire nous est accessible rapidement et sans effort. Ce contenu est donc abstrait et relationnel. C'est la mémoire du sens des mots, des règles et des concepts, des faits historiques et de certaines connaissances sur soi, sans que nous sachions à quel moment nous avons appris cette information. Elle est indépendante du contexte spatio-temporel de son acquisition.
b) la mémoire implicite est la mémoire du « savoir comment » ; elle est formée par la mémoire procédurale qui est celle des habiletés motrices (piano, vélo, etc.) ; elle correspond à la mémoire des habitudes. Il s’agit d’un apprentissage difficile qui s’est automatisé (tel que conduire, ou jouer d’un instrument de musique).
Comment la mémoire est-elle organisée ?
On distingue trois étapes successives :
- 1 - La mémorisation est l’acquisition du souvenir, toutes les nouvelles informations sont traitées et codées, elles sont mises en lien avec une acquisition antérieure par associations.
- 2 - la conservation est assurée par le phénomène de consolidation (phénomène très riche durant le sommeil paradoxal). On va réorganiser les souvenirs dès qu’il y aura une nouvelle expérience, on va rendre les informations plus synthétiques et plus cohérentes, au risque d’ailleurs de l’éloigner de la réalité apprise avant.
- 3 - la remémoration permet la restitution du souvenir en fonction des besoins du moment. Le rappel est actif et volontaire, alors que la reconnaissance est passive.
2/ Mécanisme de la mémoire
Quelle est la méthode de stockage des informations ?
La mémoire est un processus moléculaire et cellulaire.
a) Nos souvenirs seraient, selon les avancées récentes, encodés dans notre cerveau dans de vastes réseaux de neurones, sous forme de distribution d’activité électrique cellulaire nommée « potentiel d’action (PA) » qui doit circuler pour maintenir l’information en vie.
Le concept date des années 1940 : Donald Hebb, (un psychologue de la Mc Gill University à Montréal) propose les « synapses » comme élément-clef de la mémoire.
Pour transmettre une information, notre système nerveux utilise une combinaison de signaux électriques et chimiques. En effet, la plus grande partie de la distance est parcourue sous la forme d’une propagation électrique le long des neurones. Mais, pour pouvoir être transmise à un autre neurone à travers l’espace que constitue la synapse, cette impulsion électrique doit être convertie en une étape chimique beaucoup plus lente. Le signal électrique permet le relâchement dans l’espace synaptique de vésicules, sorte de « sacs » remplis de molécules chimiques appelés « neurotransmetteurs ».
Une fois libérés, ces neurotransmetteurs traverseront l’espace pour se lier à des récepteurs « post-synaptiques » situés à la surface de la cellule suivante. Cette liaison provoquera l’ouverture de canaux dans la membrane de la cellule, avec l’entrée et la sortie d’ions de la cellule créant un nouveau signal électrique qui se propagera jusqu’à la prochaine synapse, et ainsi de suite.
Il a été mis en évidence que l’activité électrique ne fonctionne pas seulement par l’émission ou non d‘un potentiel d’action, mais en propageant un rythme, une mélodie qui a valeur de codage de ces informations.
Un seul neurone peut recevoir jusqu’à plusieurs milliers de signaux des synapses qu’il partage avec beaucoup d’autres neurones et les combiner de nombreuses façons pour former un souvenir cohérent, ce qui expliquerait par exemple la formation de souvenirs « associatifs » du style de la fameuse madeleine de Proust. 1
On peut imaginer des réseaux coactifs de neurones qui se parlent en formant des associations entre réseaux de stimuli et des réseaux de concepts.
Mais cette activité électrique considérée comme le support mnésique du cerveau est fugace : elle ne dure que de quelques centièmes de millisecondes à quelques minutes et ne peut donc constituer le support de mémoire à long terme.
b) L’hypothèse de la modification cellulaire pour permettre le stockage des informations avait déjà été émise en 1890 par Ramon y Cajal. Il avait supposé la survenue d’excroissances ou de protubérances anatomiques des neurones appelés « dendrites ». Ces modifications et celles de la jonction des neurones, que Sherington appellera plus tard des synapses, étaient donc supposées permettre le stockage des informations dans le cerveau.
Dans les années 1970, Bliss et Lomo ont supposé que le changement de plasticité des neurones correspondait à la possibilité d'accroître durablement l'efficacité de la réponse synaptique sous l’influence des trains de stimuli électriques. Ce mécanisme a pris le nom de Potentialisation à Long Terme (P.L.T.).
Un autre mécanisme encore mal connu, le sommeil participerait à la consolidation des traces mnésiques emmagasinées durant la journée, notamment pendant la phase du sommeil paradoxal.
Quels sont les neurotransmetteurs utilisés par les voies mnésiques ?
Les synapses et les neurotransmetteurs ne sont pas réservés au fonctionnement du système mnésique, sauf peut-être, le glutamate (GLU).
Lorsque la synapse est activée, le GLU libéré dans la synapse va se fixer sur deux récepteurs naturels principaux situés sur les neurones post-synaptiques : le récepteur AMPA qui sert à la transmission synaptique d’un neurone à un autre, et le récepteur NMDA qui est impliqué spécifiquement dans la plasticité des synapses.
Ils sont inactifs dans les conditions normales. Pour qu’ils soient activés il faut que le potentiel d’action soit supérieur à un seuil d’activation. Ces récepteurs sont donc appelés « voltages dépendants ». Ces deux récepteurs vont ouvrir un canal dit « ionique », situé dans la membrane neuronale, parce qu’ils provoquent une entrée et une sortie d’ions de la cellule.
Quelles sont les étapes de signalisation qui vont conduire à la modification de la plasticité pour stocker les informations?
Le mécanisme de la Potentialisation à Long Terme (P.L.T.) comporte au moins deux phases :
La première est l'établissement (ou induction) qui dure environ une heure et est induite expérimentalement par une unique stimulation à haute fréquence. Elle implique l'activité de divers enzymes de la famille des kinases. Cette induction persiste même après l'élimination du calcium, mais elle n’induit pas de synthèse protéique.
La seconde phase est le maintien (ou expression) qui peut perdurer durant plusieurs jours et nécessite pour sa part la succession de plusieurs stimulations à haute fréquence pour être déclenchée. Elle provoque la synthèse de nouvelles protéines participant à la formation de nouveaux récepteurs et contribuant aussi à la croissance de nouvelles synapses.
Quelles sont les protéines synthétisées pour consolider le stockage des informations ?
Les protéines kinases sont donc des enzymes qui jouent un rôle fondamental dans le passage de la plasticité labile à une plasticité stable à long terme. Elles sont mieux connues aujourd’hui ; certaines ont été identifiées, comme :
- la calmoduline kinasse II capable de phosphoryler (fixer des atomes de phosphore) un certain nombre de substrats,
- les protéines MAP kinase, impliquées dans la construction des dendrites.
D’autres protéines, comme la PP1 ou protéine de l’oubli, possèdent une fonction inverse, celle de déphosphoryler (enlever des atomes de phosphore) certaines protéines qui deviennent alors inactives.
Parmi ces protéines, certaines sont connues pour être impliquées dans la formation des souvenirs, comme la protéine CREB dont l’inactivation limite la mémorisation.
Pendant des sessions intensives de travail, PP1 pourrait être notre sauvegarde contre une « surcharge », elle servirait à préserver les circuits synaptiques de la saturation. En introduisant des intervalles de repos entre les sessions de travail, nous permettons ainsi aux kinases de réapprovisionner les réserves en CREB «phosphorylé » c’est-à-dire en CREB actif.
La protéine PP1 participerait à effacer du cerveau de manière active les souvenirs qui n’ont pas été utilisés pendant un certain temps. Nous ne perdrions donc pas nos souvenirs selon un processus aléatoire.
Comment ces modifications cellulaires sont-elles stabilisées ?
L’existence de ces protéines à l’intérieur de la cellule n’est pas permanente. Pour que ces modifications cellulaires soient conservées, il faut que la présence de ces protéines soit stable.
Ce phénomène est connu depuis les années 1960. En effet, après blocage de la synthèse de ces protéines l’animal peut apprendre, mais il ne pourra par garder à long terme ce qu’il vient d’apprendre.
C’est la régulation par certains gènes de la synthèse de nouvelles protéines induites par l’activité des circuits neuronaux qui permet cette stabilisation.
Ces systèmes de modification de programme génique sont maintenant relativement connus dans le cas des neurones. L’activité des récepteurs va, par tout un ensemble de kinases, modifier l’expression de certains gènes et donc modifier durablement l’efficacité des connections synaptiques.
La voie de signalisation dans les neurones, impliquée dans ces mécanismes de régulation des gènes, est la voie des MAP kinases.
La protéine CREB intervient dans cette stabilité parce qu’elle est un « facteur de transcription » des gènes. Son activation conduirait à la fabrication de nouveaux récepteurs AMPA susceptibles d'augmenter l'efficacité synaptique.
En inactivant la protéine CREB, la protéine de l’oubli PP1 gêne l’apprentissage, ce qui empêche l’expression de certains gènes et ainsi la fabrication de nouvelles protéines nécessaires à la consolidation de la mémorisation.
Aujourd’hui, on ne connaît pas encore l’ensemble des mécanismes de régulation génétique, ni la synthèse des protéines qui sont impliquées. Mais actuellement la recherche s’intensifie.
3/ Pathologie de la mémoire
Psychologiquement, l'oubli est une impossibilité momentanée ou définitive d'évoquer un savoir ou un souvenir antérieurement fixés.
L'oubli se distingue de l'amnésie en ce qu'il est le plus souvent considéré comme un phénomène normal. Il porte aussi sur des contenus précis, alors que l'amnésie affecte une catégorie plus ou moins grande de souvenirs ou efface une tranche entière de nos souvenirs.
L’amnésie est un phénomène anormal qui se manifeste principalement de 3 façons :
- L’amnésie rétrograde (ou d'évocation) est l’incapacité à restituer des informations anciennes, acquises quand il n'y avait pas encore de troubles de mémoire.
- L'amnésie antérograde (ou de fixation) est l’incapacité à acquérir des informations nouvelles depuis le début des troubles de la mémoire, et donc d'apprendre.
- L’amnésie lacunaire est un îlot d'amnésie entourant des souvenirs intacts, une période de la vie qui n’a laissé aucune trace dans la mémoire.
Les trois processus mnésiques sont diversement atteints suivant le type de lésion :
1 - l’Encodage (mémorisation) est perturbé lors des troubles attentionnels comme au cours de la dépression.
2 - la Consolidation (conservation) est perturbée à la suite des lésions de l’hippocampe (région du cerveau considéré comme un centre majeur de la mémoire) comme dans le syndrome de Korsakoff ou la maladie d’Alzheimer.
3 - la Récupération (remémoration) est perturbée en cas de dysfonctionnement exécutif, comme dans la dépression et peut-être aussi dans le vieillissement normal.
Perte de la mémoire dans le vieillissement normal
Elle témoigne le plus souvent d’une diminution des ressources attentionnelles, pénalisant les capacités d’enregistrement des informations ou de leur récupération. Le déficit attentionnel peut s’observer au cours du vieillissement normal, mais aussi d’un état dépressif ou anxieux, d’un trouble du sommeil. Le déficit attentionnel a des répercussions notables dans la vie quotidienne où, en raison de sollicitations multiples, il faut savoir diviser son attention, activer sa mémoire de travail et résister aux interférences. Dans ce cas, la performance dans les tests de mémoire est alors normale, si l’on prend soin de contrôler l’étape d’enregistrement de l’information. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène pathologique.
Il se pourrait bien que la véritable cause du déclin de la mémoire survenant au cours de la vieillesse soit en réalité une dérégulation de la protéine de l’oubli PP1 et non pas une irréversible réduction des composants moléculaires, comme on le pensait jusque là.
Les pathologies de la mémoire
Elles peuvent avoir des origines neurologiques (avec lésions organiques) ou psychogènes (découlant d'un traumatisme psychique) avec des syndromes bien répertoriés.
La perte de la mémoire est un des symptômes des démences qui désignent de nombreuses maladies affectant le raisonnement, comme la maladie d'Alzheimer ou la schizophrénie. Toutes liées à un dysfonctionnement de neurones du cerveau , elles se caractérisent par un déclin des facultés intellectuelles : perte de la mémoire, déstructuration de la pensée, problèmes d'orientation... Elles touchent principalement les personnes âgées.
Dans cet exposé, il n’est pas fait état des troubles de la cognition (terme scientifique pour désigner les mécanismes de la pensée), connus depuis longtemps et déclenchés par un fonctionnement anormal d’autres neuromédiateurs comme l’acétylcholine.
Cet exposé est limité à l’évocation des syndromes amnésiques et de la maladie d’Alzheimer. Il existe des amnésies sévères permanentes, et des amnésies passagères (transitoires).
Le syndrome de Korsakoff est une amnésie sévère causée par l'alcoolisme chronique. Les dommages cérébraux de ce syndrome amènent une amnésie antérograde qui va en s'aggravant. Celle-ci peut aussi s'accompagner d'une amnésie rétrograde (les souvenirs les moins anciens disparaissant les premiers). Souvent totalement inconscient de son trouble, le malade répond aux questions en fabulant, avec une sorte d'euphorie qui le conduit aussi à de fausses reconnaissances. Mais la caractéristique essentielle demeure un oubli à mesure, une amnésie antérograde avec conservation de la mémoire immédiate.
Les ictus amnésiques sont des amnésies transitoires brèves (quelques heures), aux causes mal connues, qui apparaissent brutalement.
La crise amnésique dure en moyenne entre six et dix heures chez des sujets par ailleurs en bonne santé mais ayant dépassé la cinquantaine. Elle ne s'accompagne d'aucune lésion cérébrale définitive. Pourtant, pendant la crise, la personne souffre d'une amnésie antérograde majeure, oubliant quasi instantanément tout ce qui vient de se passer. À cela s'ajoute souvent une amnésie rétrograde couvrant plusieurs décennies. La récupération de l’amnésie rétrograde se fait en premier.
C'est la mémoire épisodique (à long terme) qui est le plus souvent touchée par les amnésies. La mémoire sémantique est une mémoire de référence qui renferme des informations accumulées de façon répétée durant toute notre vie. Elle est habituellement épargnée par les amnésies, mais certaines démences peuvent l'affecter.
La maladie d'Alzheimer (MA) survient à un âge avancé et se caractérise par la dégénérescence de certains neurones du cerveau. 850.000 personnes en France sont touchées et le chiffre augmente chaque année en rapport avec le vieillissement de la population.
Un des premiers signes d'alerte de la maladie sont les troubles de mémoire. C'est d'ailleurs ce qui rend difficile son diagnostic précoce puisque à cet âge de petites pertes de mémoire sont un phénomène normal lié au vieillissement.
Dans le cas de la maladie d’Alzheimer qui altère les réseaux neuronaux impliqués dans la mise en mémoire ou dans le stockage des informations, ce n’est plus l’enregistrement de l’information qui est perturbé mais bien la capacité de mise en mémoire, c’est-à-dire la capacité à construire des traces mnésiques stables et récupérables. Il y aura donc une baisse objective des performances d’évaluation.
Pour la personne atteinte d'Alzheimer, les différentes formes de mémoire vont s'effondrer en quelques années : d'abord la mémoire épisodique (des événements de notre vie), puis la mémoire à court terme, ensuite la mémoire du sens des mots, puis finalement la mémoire du savoir-faire. C'est finalement tout le raisonnement, l'attention et le langage qui se trouvent perturbés.
Le schéma ci-dessous résume l’évolution des perturbations dans la maladie d’Alzheimer.
Conclusion
L’aspect clinique de la mémoire a été largement étudié, mais le mécanisme neurologique qui lui correspond reste à comprendre. C’est le domaine de la biologie cellulaire, discipline en pleine expansion.
Avec les récents progrès de la génétique (génomique et protéomique), de nombreuses protéines impliquées dans le complexe phénomène de la mémoire ont pu être découvertes. Mais pour l’instant, elles ne représentent que quelques pièces isolées dans un puzzle largement désordonné dont il reste à découvrir le réseau de connexions.
Le nombre de protéines impliquées dans des réseaux d’une extrême complexité est considérable ; beaucoup sont impliquées dans les déficits de plasticité et d’apprentissage qui ont pu être associées à des maladies humaines en particulier des formes de retard mental. Ces phénomènes sont dus à des mutations génétiques de certains gènes qui codent ces protéines.
Aujourd’hui, on s’aperçoit que mémoriser n’est que la moitié du problème ; pour utiliser au mieux les remarquables capacités de notre cerveau nous devons aussi être capables d’oublier. Le cerveau se préoccupe plus de l’utilité des souvenirs stockés que de leur fidélité.
De plus, la plupart de ce que nous percevons et traitons est rapidement écarté et ce dont nous nous souvenons à tendance à s’estomper et à changer avec le temps. Pourquoi ? Simplement parce qu’une mémoire parfaite surchargerait le cerveau de détails insignifiants, peut-être aux dépens d’informations qui, elles, seraient utiles.
Imaginez une seconde que vous mémorisiez absolument tout ce que vous voyez et entendez… Votre vie deviendrait un véritable enfer, à l’instar des personnes souffrant du « syndrome du savant » ! D’ailleurs, toujours associé avec un sérieux handicap mental, ce syndrome se manifeste par une mémoire exceptionnelle dans un domaine particulier.
Perspective de thérapeutique
À ce jour, aucune molécule connue ne permet d’améliorer les performances d’un individu normal, tout au plus d’augmenter sa durée de concentration ; sinon tous les étudiants le sauraient ! Dans ce paysage incomplet, la protéine PP1 serait une des clés des mécanismes d’acquisition et de rétention d’informations.
Si cela se vérifie, de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les personnes âgées verront sans doute le jour. Mais bien sûr, on ne parle pas ici des pertes de mémoires associées à des problèmes graves de type Alzheimer ou attaques cérébrales, qui impliquent, eux, la mort de millions de neurones.
Il pourrait aussi être bien tentant de bloquer l’activité de cette protéine chez des personnes jeunes, pour essayer d’améliorer leurs facultés d’apprentissage et obtenir ainsi une « super » mémoire. Pourtant, si notre cerveau a prévu une telle sécurité, c’est qu’il a ses raisons et la « surpasser » pourrait nous réserver quelques désagréables surprises.
Suzanne Monjanel-Mouterde
Maître de Conférences
Laboratoire de pharmacodynamie de la Faculté de Pharmacie de Marseille
1 – Cf., dans ce dossier, l’article Une résurrection de la mémoire : la réminiscence (N.D.L.R.)