La curée contre les curés
Les cinq années du pontificat de Benoît XVI
apparaissent comme un long chemin de croix
Je fus éveillé l'autre matin, sur une chaîne du service public, par l'un de ces humoristes que l'on rencontre désormais à tous les carrefours de l'information – comme si celle-ci était réputée à ce point indigeste qu'il faudrait toujours quelque condiment pour la faire passer.
Le sujet était le pape. Après quelques plaisanteries d'un goût exquis (si Jésus, aux noces de Cana, a transformé l'eau en vin, c'est qu'il avait oublié de passer chez Nicolas... - oui, oui !), la voix se fit plus grave : les religions sont facteurs de violence ; c'est à elles que l'on doit ces attentats aveugles qui endeuillent notre monde. Comme le seul sujet traité était le christianisme, il était clair que c'était lui et lui seul qui était responsable de toutes ces bombes que la malveillance attribue aux islamistes. Courageux, ces « humoristes » !
Pour un Plantu, combien de chacals ! Comme dit Alain Finkielkraut : « Ils ne réclament pas la liberté mais l'impunité... ils ne narguent pas la police de la pensée, ils la font... ce sont les inquisiteurs du nouvel ordre moral » (« Causeur », avril 2010). Ces gens-là sont la fiente de l'esprit. Dire qu'ils se réclament de Pierre Desproges ! Ils ne moralisent pas, ils lynchent. Ils ne commentent pas, ils travestissent. Ils n'imitent pas, ils dénaturent. Ils n'amusent pas, ils avilissent. Et pas seulement leurs victimes. Après les avoir entendus, c'est chacun qui se sent avili.
Mais revenons au pape et à la pédophilie. C'est un crime multiséculaire et presque ordinaire dans l'Église, que notre époque aura eu le mérite de débusquer. Il faut vider la plaie à fond. Sinon, on ne pourra plus jamais entendre sans malaise le mot de Jésus : « Laissez venir à moi les petits enfants »... Il semble que Benoît XVI l'ait compris, et avant lui le cardinal Ratzinger, beaucoup plus d'ailleurs que Jean-Paul II. Alors, pourquoi lui ? Parce qu'il est conservateur et terriblement maladroit ? De l'anticlérical de toujours jusqu'au bouffe-curés de sacristie genre Golias, en passant par ce pauvre Hans Küng qui croit que l'on se débarrasse de la pédophilie par le mariage, c'est l'hallali. Le pape est comme une bête à terre, saoulée de coups, qui n'a plus guère la force de réagir quand on lui tape dessus, et sur laquelle les passants, comme dans un lynchage de banlieue, viennent en rajouter quelques-uns. Lors de son voyage à Malte, on l'a senti sur le point de craquer.
Il ne servirait à rien de faire remarquer que de pareils scandales se retrouvent avec des taux comparables dans toutes les professions, cléricales ou laïques, qui sont en contact avec la jeunesse : compte tenu de ce qu'elle professe en matière de sexualité, l'Église se doit d'être exemplaire. Quant à Benoît XVI, il est celui qui n'a pas eu de chance. Il s'est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Le catholicisme professe la communion des saints. Il y a aussi la communion des pécheurs. Autrement dit, chaque homme porte en lui les mérites des uns et les fautes des autres.
Les cinq années du pontificat de Benoît XVI apparaissent comme un long chemin de croix et l'avenir pourrait être pire. Ce n'était pas une bonne idée d'élire un homme de 78 ans, largement coupé du monde, mal entouré, viscéralement conservateur et si étranger à l'univers de la communication moderne que cela en devient touchant. Tant de canailles y réussissent si bien !
L'Église catholique se doit de réformer son mode de gouvernement. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale au moins, elle est gérée, à de rares moments près, par des vieillards à bout de souffle. Faut-il rappeler que le Christ, dont le pape se proclame le vicaire, est mort à environ 33 ans ? Benoît XVI rendrait un grand service à son Église en préparant avec sérénité sa succession. En établissant pour le pape un âge de départ à la retraite, comme cela a été fait pour les cardinaux. Car le pape n'est pas Dieu sur terre. Il est l'évêque de Rome et son remplacement ne soulève aucun scandale théologique. Après quoi, il pourrait se retirer dans la dignité, entouré du respect qui est dû à un intellectuel authentique et à un grand spirituel.
Jacques Julliard
Article de NouvelObs.com