La crainte de Dieu
L'expression Crainte de Dieu reste souvent mal comprise. Son interprétation au premier degré est fausse parce qu'animée par des préjugés, entre autres que Dieu est un être terrible, pour ne pas dire terrifiant et que le christianisme est une religion de la peur et de la culpabilisation…
Des " pasteurs " pressés ont effectivement utilisé ceux-ci pour impressionner les fidèles, afin de les amener plus rapidement à résipiscence et les " convertir " ; mais la peur ne saurait être l'essence d'une religion qui révèle un Dieu-amour.
Notons qu'à travers les siècles les théologiens ont généralement gardé plus de prudence que les prédicateurs !
Une meilleure approche du concept est exprimée par saint Luc (Luc 5,1-11). Jésus vient d'inviter Pierre à jeter ses filets. Celui-ci n'avait rien pris de la nuit ; or, sur la parole de Jésus, il voit ses deux barques remplies de poissons à ras-bord. Il tombe alors aux pieds du Seigneur, en disant : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur ». L'effroi devant ce qu'il ne s'explique pas (un miracle ?) le saisit. C'est donc à la fois un réflexe d'incompréhension et de respect venu du cœur qui anime Pierre, non une crainte imposée par un pouvoir coercitif ; ce n'est pas une peur servile et aliénante. D'ailleurs que répond Jésus ? « Sois sans crainte… ».
On retrouve cette même invitation au début de l'Apocalypse de saint Jean (1,12-19) quand lui apparaît au milieu des sept chandeliers d'or « comme un fils d'homme ». Celui-ci dit à Jean : « Ne crains point ; je suis le Premier et le Dernier, et le vivant ; j'ai été mort et voici que je suis vivant… » Et il renvoie l'apôtre simplement à ce qu'il a à faire : « Écris donc les choses que tu as vues, et celles qui sont, et celles qui doivent arriver ensuite ».
On sait que le pape Jean-Paul II a, à plusieurs reprises, renouvelé cet appel à ne pas avoir peur, et ce dès la messe inaugurale de son pontificat (22 octobre 1978).
Lorsque, durant la Passion, le " bon larron " houspille son compagnon, qui a interpellé Jésus pour qu'il se sauve et les sauve en même temps, il lui demande s'il n'a pas la crainte de Dieu. On voit bien qu'il ne s'agit pas de peur, même pas du jugement, mais du respect dû à la " majesté royale " de Jésus (Luc 23,40-43).
On retrouverait la même " crainte révérencielle " dans la Première Alliance, chez Isaïe par exemple (Isaïe 6,1-8) lors de la scène où se dessine sa vocation : il a la même réaction qu'aura Jean. Voyant le Seigneur entouré de séraphins, il s'écrie : « Malheur à moi, je suis perdu ! Car je suis un homme aux lèvres impures… » Cette " crainte ", là encore, marque une distanciation entre le créateur et sa créature " pécheresse " et non une aliénation. Rien à voir avec le retrait apeuré d'Adam et d'Ève qui se cachent de Dieu, lorsqu'après avoir mangé le fruit du jardin ils peuvent craindre un châtiment à leur désobéissance (Genèse 3,8-10).
Dieu est amour, il est proche de l'homme, même si celui-ci ne s'en aperçoit pas toujours. On peut devenir son intime – c'est l'état des mystiques – mais il n'est pas un camarade avec lequel on peut se permettre des familiarités impertinentes.
Clavel l'avait dit avec vigueur : « Dieu est Dieu, nom de Dieu ! »
Albert Olivier