« La coresponsabilité dans l'Église, utopie ou réalisme ? »
Un livre à la rencontre de son public
Les organisateurs n’avaient pas imaginé ce succès : il a fallu le 4 mai délaisser la salle des Cèdres pour la salle de conférences du Mistral, à Marseille, afin d’accueillir le public venu assister à la présentation par leurs auteurs de l’ouvrage La coresponsabilité dans l’Église, utopie ou réalisme ? qui est paru en avril aux éditions DDB *.
Codirecteur de la publication avec Olivier Bobineau, Jean Guyon a tenu à souligner d’emblée qu’en fait de direction, la tâche qui a incombé à l’un comme à l’autre a surtout été un travail d’édition. En l’espèce, l’édition des actes d’un Colloque organisé les 16-17 janvier 2009 à Marseille par la Communauté Saint-Luc sur le thème « La coresponsabilité en Église, parlons-en ! ». Que l’intitulé porte en un cas un point d’exclamation et, dans l’autre, un point d’interrogation se comprend assez : il s’agissait en 2009 d’inviter, voire de convoquer à la réflexion ; en 2010, l’accent est porté sur les questionnements issus de cette réflexion.
Un titre en forme de questionnement
De fait, le questionnement sur lequel ouvre le titre de l’ouvrage est tout sauf rhétorique. Comme il est dit en introduction, il vise à rendre compte au plus près des contributions qu’il rassemble, marquées par une constante tension entre utopie et réalisme : « L’utopie, soit, pour reprendre la formule de Jean-Jacques Wunenburger, "la relation de l’imagination historique avec cet ailleurs qui n’est jamais tout à fait nulle part, et qui nous déporte toujours vers du nouveau" ; le réalisme, qui peut s’entendre de deux façons : l’acquiescement plus ou moins résigné à l’"ici et maintenant" d’un état social ou la juste prise en compte de ce qui peut et doit être modifié en son sein » (p. 11-12). Et c’est, on s’en doute, ce deuxième sens du mot « réalisme » que les auteurs ont privilégié.
Pour autant, « il est d’autres questions qui déroulent comme un fil d’Ariane tout au long du livre, au point qu’elles auraient pu figurer en couverture, comme un sous-titre : quelle coopération entre clercs et laïcs, mais aussi entre laïcs, suppose l’exercice de la coresponsabilité en Église ? Et jusqu’où peut s’étendre cette coopération ? » (p. 12). Questions d’ordre politique, au sens premier de ce terme, qui justifient que l’ouvrage ait été publié dans une collection qui s’intitule « Religion et Politique ». Et cela explique également le souhait des éditeurs qu’il « puisse être utile aussi bien à des fidèles, clercs ou laïcs, qu’à des chercheurs que le thème de la coresponsabilité en Église intéresse » (p. 17). Un souhait qui a été entendu si l’on en juge par les personnalités qui ont accepté de rédiger la préface et la postface du livre.
Préface et postface : deux éclairages complémentaires.
La préface est due au Père Georges Pontier, archevêque de Marseille. Il y dit avoir reçu le livre comme une invitation à « regarder cette réalité (à savoir les relations entre laïcs et ministres ordonnés) de manière plus profonde et spécifique à partir de ce qu’est l’Église, peuple de Dieu, corps du Christ, temple de l’esprit ». Et d’ajouter : « Si l’Église a des ministères, c’est parce qu’elle est un mystère. En elle s’exprime une présence voilée, active qui la dépasse et la spécifie. Ainsi pour ma part j’aime employer l’expression "coresponsabilité différenciée", pour signifier à la fois qu’une coresponsabilité réelle doit être vécue, vérifiée et en même temps qu’elle se déploie dans une différence qui ne vient pas seulement de la nécessité du fonctionnement, mais de ce qu’en elle s'exprime quelque chose ou plutôt Quelqu’un qui la dépasse et la requiert pour la mission dans le monde » (p. 8-9).
L’accent est autre, naturellement, dans la postface rédigée par Bruno Duriez, directeur de recherche au CNRS. Tout en étant conscient lui aussi que « l’Église se justifie non par la décision collective de ses membres mais comme venant d’un ailleurs, Dieu » (p. 248), il porte sur elle non le regard d’un pasteur, mais celui d’un sociologue qui a pour champ d’étude privilégié les institutions ecclésiales. Ce qui le conduit à noter qu’« il y a plus qu’une analogie entre ce qui se passe dans l’Église et le débat actuel autour de la démocratie participative dans la sphère politique » (p. 250), avant de se livrer à une analyse en règle des initiatives pastorales en faveur de la coresponsabilité qu’il lit comme une volonté de répondre aux évolutions de la société contemporaine. « Innovation, créativité : une nouvelle façon de vivre en Église se dessine », conclut-il, tout en ajoutant que « certaines évolutions restent fragiles et que la coresponsabilité dans l’Église, quoique pleinement et officiellement justifiée à la fois dans les textes et chez les autorités ecclésiales, reste un défi lancé à l’institution » (p. 262-263).
Préfacier et postfacier ont donc privilégié l’un un regard ad intra, et l’autre ad extra, comme on aurait dit au temps de Vatican II. La même dualité se retrouve dans la première partie de l’ouvrage qui vise à examiner la coresponsabilité au miroir de trois disciplines essentielles à sa bonne compréhension en ayant recours pour cela à des auteurs qui font autorité.
Sous le triple éclairage de la sociologie, de la théologie et de la psychosociologie
L’ouvrage s’ouvre ainsi (p. 25-68) sur un fort chapitre d’Olivier Bobineau, maître de conférences à l’Institut catholique de Paris et à Sciences-Po, qui a mis au service de sa contribution ses compétences de sociologue, mais a su également y faire œuvre d’historien. Considérer sous le signe de la très longue durée le terreau paroissial dans lequel s’est enracinée la mission de l’Église était indispensable en effet pour comprendre les défis que la modernité (et, plus encore, la « post-modernité » contemporaine) portent à cette mission et comment la coresponsabilité, d’une certaine façon, peut aider à relever ces défis. On le sait bien, un peuple oublieux de son histoire est un peuple qui marche à l’aveugle et cela vaut aussi pour le peuple de Dieu.
Le second chapitre (p. 69-89) est dû à Alphonse Borras, qui y traite de « La coresponsabilité : enjeux théologiques et institutionnels ». Façon de signifier qu’elle ne répond pas seulement à des urgences pastorales, mais relève d’un impératif ecclésiologique qui tient à la vocation baptismale de chaque fidèle, pour peu qu’il veuille s’en montrer digne et que les autorités ecclésiastiques la prennent réellement en considération. L’exposé est servi par la double compétence de l’auteur : celle d’un canoniste professeur à l’Université de Louvain, soucieux de faire place aux droits et devoirs de chacun au sein de l’institution ecclésiale et celle d’un pasteur que ses fonctions de vicaire général du diocèse de Liège confrontent quotidiennement aux enjeux de la promotion de la coresponsabilité en Église.
À ce concert enfin, Vincent Hanssens prête la voix de la psychosociologie dans une contribution d’une vingtaine de pages (p. 91-111). Cela parce que la coresponsabilité est aussi affaire de relations humaines et qu’on courrait un grand péril à l’oublier, à négliger aussi ce que peuvent apporter la connaissance du psychisme humain et celle des dynamiques de groupe à la résolution des conflits que son exercice ne manque pas de susciter. La contribution de l’auteur, professeur émérite à l’Université de Louvain, en fournit la preuve : la tonalité très pédagogique de son propos et le pragmatisme de son approche rendront de précieux services à celles et ceux qui s’emploient à vivre au quotidien la coresponsabilité.
Ce triple éclairage théorique constitue une introduction indispensable à une présentation de la coresponsabilité telle qu’elle est mise en pratique, qui fait l’originalité de la deuxième partie de l’ouvrage dont elle constitue le cœur.
Les témoignages de sept lieux d’Église
Pour employer le langage des statisticiens, l’échantillonnage des lieux d’Église dont les contributions sur leurs pratiques de la coresponsabilité tiennent en 80 pages (p. 113-193) ne prétend pas être représentatif. Il offre du moins un large éventail de situations en combinant :
- Une large diversité géographique : Lille, Paris et Marseille (dont quatre communautés étaient au colloque comme à la présentation du livre), mais aussi l’Italie, avec la paroisse de Santo Stefano de Paterno, près de Florence.
- Une grande variété du statut canonique : certains lieux d’Église sont des paroisses ou des ensembles pastoraux associant plusieurs paroisses (Santo Stefano, Saint-Pierre-et-Saint-Paul et l’Ensemble pastoral des Berges de l’Huveaune pour Marseille) ; d’autres sont nés d’initiatives épiscopales afin de répondre à des urgences pastorales précises, en marge ou au sein de communautés paroissiales (le Centre pastoral Les Halles-Beaubourg qui est couplé à la paroisse Saint-Merry, à Paris, l’Escale spirituelle Saint-Ferréol à Marseille) ; d’autres, enfin, ont un statut d’association publique de fidèles : la Fraternité diocésaine des Parvis à Lille, la Communauté Saint-Luc à Marseille.
- Des expériences d’une durée très variable, enfin : une trentaine, sinon une quarantaine d’années pour trois des communautés, une décennie, voire quelques années seulement d’existence pour les autres.
Cette diversité recherchée a pour objet de « fournir aux fidèles qui liront le livre le visage de lieux d’Église aussi proches que possible de celui qu’ils fréquentent habituellement par leur faciès sociologique, leur pyramide des âges, etc. Cela afin de leur faire prendre conscience que l’exercice de la coresponsabilité n’est pas réservé à quelques communautés privilégiées, mais qu’il peut être mis en œuvre dans les situations les plus ordinaires » (p. 20).
Or cette mise en œuvre, on le sait, n’est pas sans poser parfois question. Le livre n’a pas esquivé la difficulté : sa troisième partie vise en effet à tenter de répondre à ces questions, et précisément à celles qui sont le plus fréquemment posées par les praticiens de la coresponsabilité ou par ceux qui souhaiteraient la voir mise en pratique.
La coresponsabilité en questions
Les questionnements auxquels est soumise la coresponsabilité dans cette dernière section de l’ouvrage forte d’une quarantaine de pages (p. 195-237) résultent d’une sorte d’exercice in vivo de la coresponsabilité. Ils sont en effet le fruit de la quinzaine de « carrefours » qui avaient été formés lors du Colloque de 2009 et les réponses qui leur ont été apportées résultent de la table ronde qui a conclu les débats. Elles viennent non seulement d’Olivier Bobineau, Alphonse Borras et Vincent Hanssens, mais aussi des représentants des paroisses et communautés invitées dont les interventions étaient lestées du poids de leurs expériences. Et certaines – et non des moins aiguisées – sont le fait des participants au Colloque qui ont nourri le réflexion autant qu’ils en ont été nourris.
Le travail des éditeurs s’est borné à structurer la matière issue de cette table ronde et à la distribuer en cinq chapitres :
- La coresponsabilité a-t-elle en Église une coloration spécifique ?
- La coresponsabilité, une affaire de disponibilité, de formation, de transmission ?
- Entre clercs et laïcs, mais aussi entre laïcs : un exercice parfois difficile de la coresponsabilité ?
- L’accession à la coresponsabilité : une proposition à faire aussi aux plus jeunes ?
- La réflexion sur la coresponsabilité, une porte ouverte sur d’autres chantiers ?
Si large que soit le spectre de ces questions, il ne couvre évidemment pas tout le champ des interrogations ouvertes autour de la coresponsabilité. La preuve en a été donnée le 4 mai où la salle était conviée à un débat à l’issue de la présentation de l’ouvrage ; pour des impératifs horaires, il a fallu y mettre fin au bout d’une demi-heure, non sans frustration pour beaucoup : on n’en a décidément jamais fini avec la coresponsabilité !
Des suites à donner ?
Ceux qui le désiraient ont cependant pu prolonger la discussion autour d’un « pot » organisé à la Communauté Saint-Luc. Les langues sont allées bon train entre les membres de la Communauté et ceux des autres lieux d’Église marseillais qui ont contribué à l’ouvrage, paroisse Saint-Pierre-et-Saint-Paul, Ensemble pastoral des Berges de l’Huveaune et Escale spirituelle Saint-Ferréol, tant il est vrai, comme le disent les derniers mots du livre, que la coresponsabilité est une porte ouverte sur d’autres chantiers : comment approfondir les liens qui se sont noués au cours de cette riche expérience collective – la tenue d’un colloque, la publication d’un livre ? comment, aussi, aller plus avant dans la réflexion ? et pourquoi ne pas faire partager cette réflexion au plus grand nombre ? Autant de pistes qui pourraient déboucher – qui sait ? – sur d’autres colloques, d’autres livres à élaborer en lien avec les universitaires et les communautés de l’hexagone et d’outre-Alpes que tous ont eu plaisir à accueillir à Marseille en 2009.
* O. Bobineau, J. Guyon dir., La coresponsabilité dans l’Église, utopie ou réalisme, Paris, éd. DDB, 2010, 270 p., 20,00 €