La conscience d’être un peuple élu par Dieu
Les récentes élections de mi mandat aux États-Unis ont donné l’occasion à la frange la plus conservatrice et fondamentaliste de ce pays d’occuper le devant de la scène, notamment avec l’apparition du mouvement baptisé Tea Party. Par delà les joutes politiciennes autour de tel ou tel programme, la toile de fond plus ou moins consciente de ces élections réside dans le sentiment de l’érosion du leadership états-unien dans les affaires du monde.
Non seulement les aventures irakiennes et afghanes révèlent les limites de la puissance militaire américaine, mais l’émergence de nouveaux pays, notamment la Chine, ayant la prétention d’exercer un rôle mondial dans tous les domaines mine la formidable confiance des américains en eux-mêmes. On pouvait, par exemple, lire ceci sur le site du journal Le Monde, le 28 octobre : « Dans la course aux performances des supercalculateurs, la Chine a vraisemblablement détrôné, jeudi 28 octobre, les États-Unis. Conçu par deux cents ingénieurs, le Tianhe-1A ('voie lactée') est un superordinateur hébergé au National Center for Supercomputing, dans la ville de Tianjin, dans le nord-est de la Chine ».
On ne mesure pas assez à quel point la conscience d’être un peuple élu par Dieu est une composante de l’identité états-unienne. Un des meilleurs analystes américain, Jeremy Rifkin, fondateur et président de la Fondation pour les tendances économiques basée à Washington, écrit ceci : « Les Américains auront beaucoup de mal à s’adapter à un monde de relations et de courants sans frontière où chacun se trouve de plus en plus connecté en réseaux, de plus en plus dépendant des autres. Que devient le sentiment de la singularité américaine, la conviction d’être un peuple élu, dans un monde où l’exclusivisme cède constamment le pas à la cohésion ? (…) C’est une hypothèse qui peut faire sourire les Européens mais, croyez-moi, de nombreux Américains restent intimement persuadés de leur statut particulier d’élus de Dieu. S’ils devaient renoncer à cette idée, voire simplement douter de sa véracité, l’assurance et la confiance dans le rêve américain risqueraient d’en pâtir irrémédiablement. » 1
On comprend alors la tentation permanente des États-Unis de transformer tout conflit en une lutte entre le Bien et le Mal. Après l’Union soviétique définie par plusieurs présidents américains comme « l’empire du Mal », ce sont aujourd’hui les régimes islamiques qui incarnent ce Mal contre lequel se dresse la vocation américaine au Bien. C’est encore Rifkin qui nous dit que, pour la majorité des américains, « l’idée d’un monde où tout est relatif les dépasse. » 2
Dans ce moment de crise d’identité, la tentation est grande de fuir la complexité pour invoquer des certitudes fondamentales. Ainsi, le Tea Party se réfère à la révolte fondatrice des colons américains contre la Grande Bretagne qui voulait leur imposer des taxes. Et l’on a pu entendre le soir des élections un certain nombre de nouveaux élus proclamer que « Dieu était avec eux ».
Les Américains ne sont pas les seuls à succomber à ces tentations idolâtres. Ainsi, l’élection d’Obama avait était saluée en Europe un peu comme l’apparition d’un nouveau Messie. Le Président Obama ne mérite ni cet excès d’honneur que lui vouait les Européens, ni cet excès d’indignité que clame le Parti Républicain.
Il serait temps de cesser enfin d’utiliser Dieu ou les religions pour donner un caractère absolu aux différents compromis auxquels conduit le choix démocratique de vivre ensemble.
Bernard Ginisty
Chronique diffusée sur RCF Saône & Loire le 07.11.10
1 – Jeremy RIFKIN : Le rêve européen. Éditions Fayard, 2005, page 38
2 – Id. page 16