L’œcuménisme aujourd’hui, regard d'un pasteur réformé
Laurent Schlumberger
Président de l’Église Réformée de France
le mardi 12 décembre 2011
Vous nous avez invités à porter des regards croisés sur nos Églises. Je vous propose un chemin en quatre étapes :
1. Regards croisés
Quelle image je me fais des catholiques ? des protestants ? (le conférencier invite tous les participants à écrire leur point de vue sur de grands tableaux de papier)
Concernant les protestants, je retiens trois aspects bien vus :
- S’inspirer des protestants pour la connaissance de la Bible
- « Tolérance, partage, rigueur »
- Les protestants s’engagent pour les droits humains
Et trois clichés inexacts :
- « ils connaissent mieux la Bible ». Ce n’est pas exact du tout
- « ils sont plus refermés sur eux-mêmes »
- absence de l’accueil et du partage
Et des clichés sur les catholiques :
- ils croient détenir la vérité, ils ont un syndrome de supériorité
- ils se préoccupent de ce que pense le Pape
2. Arrêt sur image
Nous sommes dans une galerie de miroirs, concernant l’image que je me fais de l’autre, comme dans les foires, des images qui déforment, qui ratatinent. Le jeu des images est un jeu sans fin. Guy Debord et Georges Steiner ont souligné que nous sommes dans une société du spectacle. Ex : la mode du tatouage, qui touche tous les milieux et tous les âges. Il y a un lien entre l’image et l’identité, d’où l’importance du phénomène imaginaire. Autre exemple : l’imagerie médicale. Les médecins travaillent maintenant à distance, sur l’imagerie médicale.
Trois choses se conjuguent pour cette primauté du spectacle :
- la priorité du spectacle, de la télévision
- l’idéologie de la transparence
- la vitesse, qui produit du cliché
Notre société est affolée par la question de l’identité. Cela pousse dans le sens de l’aliénation : je suis dépossédé de ce que je suis vraiment. Cela conduit aussi à un durcissement des identités, à m’assigner une identité de type tribal, qui me donne une place.
Les religions sont directement concernées par ce jeu de l’image. Elles disposent de ressources innombrables, soit pour durcir les identités, soit pour faciliter des ouvertures.
Cf. le roman de Max Frisch : Andorra (1950)
Et aussi Esaïe 43, 1-6 : « Ainsi parle le Seigneur : je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi…tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix pour moi et je t’aime » ; on reçoit identité par une parole qui vient de Dieu.
3. Les expériences fondatrices d’une démarche œcuménique
On avait posé la question (à des catholiques) : « dans votre expérience, qu’est-ce qui vous conduit à donner du poids à la dimension œcuménique ? ». Voici des réponses :
- malaise à l’égard de la théologie catholique enseignée, et de beaucoup d’aspects de sa pratique (en 1957)
- découverte des Églises Orthodoxes, leur théologie, leur spiritualité, l’enseignement d’Olivier Clément (vers 1960-62)
- Jean XXIII et le désir de l’unité de tous les chrétiens
- L’exégèse, la connaissance de la Bible
4. Jalons pour un œcuménisme en mouvement
Je vous en propose cinq :
1) Œcuménisme
Le mot peut avoir cinq sens différents, cinq strates qui se superposent :
- 1. Sens géographique : l’œcuméné, c’est le monde entier. C’est le sens du mot grec, on le trouve en Luc 2,1 : « un recensement de toute l’œcuméné »
- 2. Sens politique : l’Empire d’Alexandre le Grand, impérialiste, a une prétention à l’universalité, à l’hégémonie. Même chose pour l’Empire Romain. Au-delà des frontières il n’y a que des barbares.
- 3. Sens moral, éthique : vivre avec tous un rapport tolérant, accueillant.
- 4. Sens interconfessionnel : une méthode et un contenu, un mouvement qui dépasse les frontières confessionnelles : découvrir l’Évangile de manière transconfessionnelle.
- 5. Sens international : « Conseil Œcuménique des Églises »
De quel type d’unité parlons-nous ?
2) La question de l’identité
Nous vivons une phase de reconfessionalisation. La confession s’effrite de manière plus visible que la foi elle-même. Ex. : la création en 2010 du CNEF : « Conseil National des Églises Évangéliques de France ».
Il faut distinguer croyance et appartenance. Trois exemples :
- Des « musulmans » qui font le ramadan
- Au Musée du Désert, viennent des protestants, sans croire « à la résurrection et autres balivernes »
- Le Festival Celtique de Lorient a été réinventé au 20e siècle
La Réforme du 16e siècle est le fruit de l’Église d’Occident. Et le catholicisme d’Occident est le fruit de la Réforme, par le Concile de Trente et la Contre-Réforme.
On peut dire la même chose des rapports entre judaïsme et christianisme : le judaïsme actuel s’est constitué contre le christianisme qui se développait dans l’Empire Romain. Qu’est-ce que je dois à l’autre ?
L’œcuménisme du 20e siècle nous apprend à prendre en compte les confessions des autres dans notre propre confession. En 2001, le Synode de l’ERF en a été un exemple. La Conférence des Évêques de France a interpellé l’ERF. Le dialogue devient constitutif.
3) L’hiver œcuménique ?
C’est plutôt un changement de saison. Ce n’est jamais l’hiver partout. Les fruits sont différents.
Depuis 50 ans l’œcuménisme a porté des fruits exceptionnellement abondants :
1. L’ouverture institutionnelle : Edimburg 1910, Conseil Œcuménique, Vatican II, CCEF… Aller plus loin dans ce domaine n’est plus possible, et est même vain. Une question se pose sur l’Église Catholique : est-ce que le catholicisme de Trente a fini avec Vatican II, ou bien Vatican II n’a-t-il été qu’une parenthèse ? Ici, il convient seulement d’attendre.
2. La stimulation théologique, en christologie et en ecclésiologie. Fécondité de l’œuvre d’Yves Congar. Travail du Groupe des Dombes.
Mais la saison actuelle porte aussi ses fruits, qui sont des fruits différents. J’en retiens deux :
1. Le compagnonnage biblique. Un travail considérable de traductions œcuméniques : la TOB, d’autres traductions, The Bible, la nouvelle TOB avec les livres deutérocanoniques des Orthodoxes (dont la Prière de Manassé, un des textes favoris de Luther).
2. La prière en commun. En particulier à Taizé. À Taizé, chaque semaine viennent 5000 jeunes, d’Églises très diverses !
4) Les fruits de demain
Ils vont correspondre aux attentes de notre société :
1. La solidarité existe déjà, dans des actions engagées en commun : au Secours Cathodique, à la Mission Populaire, la dimension confessionnelle ne joue aucun rôle. Et aussi la Cimade, les Diaconesses de Reuilly, l’action diaconale…
2. La reconnaissance. Existe une grande attente spirituelle dans ce domaine. La réunion d’Assise a joué un grand rôle dans le domaine interreligieux.
3. L’attente du sens. 55% de nos contemporains sont sans religion ou athées. Nous sommes appelé à être témoins à nouveaux frais, à faire découvrir l’Évangile et la foi chrétienne, au-delà des différences confessionnelles. Les Cours Alpha en sont un exemple.
5) Intensifier l’hospitalité ecclésiale
Pourquoi ne pas décréter la double appartenance ? L’ERF et les Églises luthériennes de France sont engagées dans un processus d’union, sans domination de l’une sur l’autre, sans pertes sur les bords. C’est un exemple, c’est un processus prophétique dont nous avons besoin. Déjà dans le Nouveau Testament nous relevons beaucoup de manières différentes de parler de Jésus- Christ, et des exemples d’hospitalité.
Conclusion
Il nous faut apprendre à comprendre l’Unité comme union et non comme uniformité. Mgr Pierre Claverie, Évêque d’Oran mort en Algérie, disait : « L’autre me révèle une part de vérité qui me manque encore ».
Laurent Schlumberger
Président de l’Église Réformée de France
le mardi 12 décembre 2011
Notes prises par Jacques Lefur, non revues par Laurent Schlumberger
Né en 1957, pasteur depuis 28 ans, successivement à Asnières, Nantes, Laval, dans la région Ouest, puis à la Mission populaire évangélique, rue de Grenelle. Responsable du Conseil National de l’Église Réformée de France depuis 2010.