L’Église est dans l’impasse : comment en sortir ?
Ce texte, rédigé par quatre prêtres du diocèse de Liège
et intitulé originellement "L’Église dans l’impasse. Pour en sortir",
a été transmis au site Jonas par le Centre Catholique Lumen Vitae.
Les quatre signataires du texte sont :
Armand Beauduin, directeur général émérite de l’Enseignement catholique, doyen du chapitre cathédral, rédacteur
Roger Dutilleul, ancien doyen du chapitre cathédral
Paul Flas, économe général émérite
Karl Gatzweiler, vicaire général émérite
L’Église est dans l’impasse et là surtout où elle a la plus ancienne histoire de société chrétienne et son ancien centre de gravité : en Europe occidentale.
Les signes en sont patents : désaffection généralisée de la fréquentation des églises, forte réduction de la pratique des sacrements occasionnels et des lieux de la catéchèse des enfants, vieillissement considérable du clergé, divorce entre ce qui se dit, ce qui se pense dans les cercles de l’autorité et ce que pensent, sans toujours le dire, les chrétiens. Les affirmations de la doctrine chrétienne ne font pas sens. Nombre de communautés locales s’étiolent et sont menacées de mourir. Les sociologues voient venir l’âge de l’ex-culturation du catholicisme et de la postchrétienté.
Les autorités appellent à une nouvelle évangélisation, d’accord sur les symptômes, pas forcément sur les causes et le diagnostic, invoquant tantôt l’ignorance du catéchisme, tantôt le matérialisme et l’hédonisme des sociétés modernes. Les nombreux chrétiens de la génération précédente qui ont quitté l’Église ouvertement ou sur la pointe des pieds ont été pourtant fortement catéchisés dans le dispositif paroissial ou scolaire. Le matérialisme et l’hédonisme ne sont pourtant pas le seul horizon de nos contemporains, sous peine de leur faire injure et mieux vaut pour les chrétiens se remettre en question que de battre leur coulpe sur la poitrine des autres.
La faillite parait bien être celle d’un système, celui de chrétienté. Une chrétienté qui n’a pour elle que l’ancienneté de l’ère constantinienne, du baptême des rois et de tout leur peuple, de l’alliance du trône et de l’autel. Ce n’était pas la situation des origines de la foi chrétienne ni même de la prédication évangélique par Jésus et les premiers disciples. Quand vint la chrétienté, vint le temps où le christianisme devint la religion de la société civile, pour administrer le sens des grandes étapes de la vie, la coïncidence entre communauté d’Église et société civile, la civilisation paroissiale. Pour être citoyen de plein droit dans une société homogène, il fallait être chrétien. L’Église et la société sont constituées par une autorité d’en haut, comme si un seul pouvait penser pour tous.
La faillite de ce système est ancienne. Elle remonte à l’âge de la Renaissance et de la Réforme, quand s’affirment les droits de la subjectivité et du libre examen ; elle s’est accélérée avec les Lumières, la Révolution française et l’avènement de la démocratie ; elle a connu une nouvelle émergence avec la condamnation du modernisme.
D’aucuns pensent que le moment présent est un mauvais moment à passer, qu’il suffit de faire le gros dos et d’attendre, que l’histoire verra l’écroulement des sociétés émancipées et donnera raison aux fidèles. Ils tirent leur confiance de leur patrimoine, des beaux restes qui sont là. Ils tirent leurs références de l’augustinisme politique quand ce n’est pas de la pensée maurassienne. Ils se veulent agents d’une restauration. D’autres voient le renouveau venir des mouvements spirituels ou charismatiques, du retour à la Tradition, du renforcement identitaire, au prix d’un repli sectaire.
Un refus de voir et de prendre la mesure des changements, une certaine abdication du jugement… ne font que renforcer le déclin et constituent une source de découragement pour les chrétiens comme pour leurs pasteurs. Ceux- là en viennent à s’indigner, à pétitionner en Autriche, en Allemagne, en Flandre… proches de nous. Ils se sentent voués à la conservation des choses passées alors qu’ils aspirent à la nouveauté de l’Évangile.
Il ne faudrait que peu de choses pour que l’Évangile retrouve de sa vigueur. « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ».
Que faudrait-il ? Quelques renoncements ?
Le renoncement à la civilisation paroissiale qui a marqué la coïncidence entre société civile et communauté chrétienne. Si ce n’est pas un droit d’être citoyen sans être chrétien, la foi ne peut être librement consentie, la conscience et la morale mêmes n’y trouvent pas leur compte.
Le renoncement à la pastorale d’encadrement, celle qui « tient » l’homme de la naissance à la mort en passant par l’adolescence et le mariage, comme si les structures d’autorité des institutions pouvaient décider à la place de chacun de ce qui est bon pour lui. Elles nous tiendraient en situation de minorité, de dépendance ou de contre-dépendance – ce qui est semblable et notre situation d’aujourd’hui.
Le renoncement à la séparation des fidèles et des ministres de l’Église, comme entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, ceux qui commandent et ceux qui sont dans un état de soumission. « Les princes qui vous gouvernent font sentir leur pouvoir, ils se font appeler bienfaiteurs. Chez vous, il n’en ira pas de même... ». C’est aussi renoncement à la structure pyramidale au bénéfice d’une Église de communion.
Une Église puissante, un clergé puissant se rassurent eux-mêmes mais ils donneront alors le sentiment, contre leur propre gré et leur vocation de chercher à se servir eux-mêmes, de veiller à leur propre perpétuation et dans ce cas ils obscurciront la gratuité de l’Évangile, alors qu’à l’image de « celui qui est venu pour servir et non pour être servi » ils doivent s’effacer devant ceux qu’ils servent : l’homme vivant, la gloire de Dieu et l’avènement de Son règne.
Vaste programme qui ne peut ignorer combien nos institutions, notre Droit Canon, sont marqués par une histoire de chrétienté, toute contingente et combien pour d’autres circonstances nous avons besoin de créativité institutionnelle.
Quelques impulsions fortes
Que les communautés chrétiennes soient conscientes et responsables d’elles mêmes, pour témoigner de l’Évangile en paroles et en actes. Elles retrouveront la faculté de s’assurer ce qui est nécessaire à leur fidélité et à leur vitalité.
Elles laisseront Dieu leur donner les ministres dont elles ont besoin. Tous sont « la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte » (1Pierre 2,9)
Que soit privilégiée entre les chrétiens une parole humaine, si authentique, si proche de l’expérience, si amicale… qu’en faisant entendre la bienveillance et la confiance elle puisse se faire entendre comme Parole de Dieu. Ainsi en est-il de la manière d’être, de parler et d’agir de Jésus.
Que soit soutenue, à la manière de Jésus encore (n’est-elle pas celle qui doit nous inspirer ?) la conversation amicale entre ceux qui se voient au dedans et ceux qui se voient au dehors. Qu’ainsi l’Église ne soit pas un lieu d’exclusion mais un lieu d’hospitalité accueillant à tous.
Que l’appel à la conversion, qui du seul fait de se savoir précédé par un amour originaire fait naître une autre vie, ne soit pas d’abord adressé par les chrétiens aux autres mais bien à eux-mêmes.
Que, par le retour aux Écritures saintes, la doctrine chrétienne énoncée dans le catéchisme trouve sa mesure dans l’événement Jésus, dans sa vie, sa passion et sa résurrection plutôt que l’inverse.
Que les chrétiens ne se tiennent pas à l’abri des peines du monde, dans un univers protégé, mais qu’ils se portent au devant de ceux qui sont les moins considérés et les plus abandonnés.
Il ne faudrait que peu de choses pour que L’Évangile se fasse à nouveau entendre comme la Parole qui donne Vie, rien qu’un changement de paradigme, le renoncement à une figure sociale contingente pour laisser place à une autre figure contingente.
Une histoire est ouverte devant nous.
Grandiose si nous acceptons de nous faire petits…
Armand Beauduin,
Roger Dutilleul,
Paul Flas,
Karl Gatzweiler
(Prêtres du diocèse de Liège)